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Biennale d’art contemporain de Lyon : Marcelo Brodsky nous parle de son projet sur Mai 68

Biennale d’art contemporain de Lyon : Marcelo Brodsky nous parle de son projet sur Mai 68

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Par Lisa Miquet

Publié le

Marcelo Brodsky expose des images de Mai 68 à la 14e Biennale d’art contemporain de Lyon. L’occasion d’échanger avec lui au sujet de cette période charnière.

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La Biennale d’art contemporain de Lyon a ouvert ses portes pour la quatorzième fois le 20 septembre dernier. À cette occasion, la commissaire d’exposition Emma Lavigne a réuni 90 artistes internationaux autour de la thématique des “mondes flottants”. Un moyen de “faire le point sur l’actualité des arts plastiques dans un monde devenu plus grand”, explique Thierry Raspail, directeur artistique de l’événement.

Exposé à la Sucrière, l’artiste argentin Marcelo Brodsky s’interroge sur les effets physiques et psychologiques de la dictature militaire en Argentine, période durant laquelle il a dû lui-même s’exiler. Il s’est notamment intéressé de près aux mouvements sociaux de Mai 68, une période où “les villes du monde entier ont montré un visage rebelle, actif et plein de vie”, selon lui. Il a donc passé trois ans à fouiller les archives mondiales pour retrouver des images de l’époque, pour les enrichir d’annotations et d’éléments de contextualisations. Des images graphiques, résolument modernes, qui font ironiquement écho à notre actualité. Nous avons rencontré l’artiste, qui a accepté de nous parler de son travail.

Cheese : Pouvez-vous nous présenter votre projet ?

Marcelo Brodsky : C’est un travail sur les idées de l’année 1968. Je pense que les idées de l’époque étaient particulièrement novatrices, elles ont marqué plusieurs générations, la mienne tout d’abord mais aussi les suivantes. C’est bientôt le 50e anniversaire de l’événement, j’ai donc décidé de faire un travail de compilation et de recherche d’archives du mouvement de 68 partout dans le monde. J’ai réussi à réunir 40 images de 28 pays différents qui nous racontent ce qu’il s’est passé d’Australie jusqu’en Argentine, de la France jusqu’aux Pays-Bas en passant par l’Angleterre, les États-Unis ou le Canada. Il y a un vrai travail de fond pour comprendre les revendications de chaque population.

Ce ne sont pas des images que j’ai trouvées sur Internet, ce sont des images que j’ai cherchées pendant plusieurs années et que j’ai trouvées auprès de photographes ou d’agents qui les représentent. Ces images ont une très haute résolution, ce qui me permet d’avoir du détail et dans le détail, il y a beaucoup d’informations. C’est à partir de ces informations que je fais une investigation plus profonde. Le fait d’avoir des images de partout dans le monde raconte l’histoire de l’homme à ce moment-là. Ensuite, je modifie ces images en noir et blanc, je leur ajoute des couleurs et ça devient une œuvre plastique. Je les transforme pour les centrer sur ce qui m’intéresse le plus.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé de près à cette date ?

Mai 68 m’a beaucoup marqué ! Cette idée de réinventer la relation au pouvoir, d’interdire l’interdit… Mais aussi la liberté sexuelle, la volonté d’impliquer plus les jeunes dans la vie politique… Tous ces symboles d’ouverture d’esprit. Ça m’a beaucoup marqué, ça a marqué mes parents, et ça a marqué aussi mes amis. Beaucoup de mes idées viennent de ce mouvement. C’est pour ça que je le suis de près.

Est-ce que vous avez vous-même connu cette période ?

Oui, j’étais jeune, j’avais 13 ans, mais je l’ai connue. Alors que je suis argentin, mon père était à Paris en mai 1968, il l’a vécu de près. Mais je m’y suis intéressé plus tard, en lisant des livres sur le sujet. Les idées de cette période m’ont vraiment aidé à m’ouvrir, alors maintenant pour ses 50 ans je trouve ça important de parler à nouveau de ce mouvement.

À travers vos images, on remarque que c’était véritablement un mouvement global, il y a des parties du globe où il y a eu des révoltes dont nous avons moins entendu parler, vous avez été surpris en effectuant vos recherches ?

Oui, c’était un mouvement global, avant Internet. J’ai découvert beaucoup de choses durant mes recherches, je savais qu’il y avait eu des événements au Mexique, en Argentine, en France mais je connaissais moins la révolte au Japon par exemple. Mais la recherche c’est aussi ça, c’est aller au fond des choses. Quand j’étais à Londres, un ami m’a parlé du mouvement qu’il y a eu en 1968 en Jamaïque, quand j’étais au Mexique on m’a parlé de cette période-là à Tunis. J’ai commencé à vouloir trouver des images du mouvement social tunisien, mais en creusant je suis tombé sur des images du Liban… Une recherche précise nous emmène toujours vers une autre. La compilation présentée aujourd’hui, ce sont trois années de travail intense.

Comment avez-vous trouvé et sélectionné ces images ?

C’est mon métier, j’ai eu une agence photo pendant 30 ans qui s’appelait Latin Stock, elle était implantée dans toute l’Amérique latine et en Espagne. Je m’occupais de la commercialisation de photos depuis 1986, ça faisait donc des années que je travaillais avec des agences comme Magnum ou Corbis, les agences photo qui ont des énormes stocks d’images (de la science à l’actualité en passant par l’art). Maintenant, je suis artiste à plein temps, mais jusqu’à l’année passée, je travaillais encore dans la gestion d’images d’archives. Ça veut donc dire que j’avais les contacts et les connaissances pour obtenir les droits de ces images : où sont les images ? Qui les possède ? Comment négocier ? Le projet présenté ici n’est pas seulement un projet plastique ou visuel, c’est un véritable travail d’investigation et ça aussi, c’est un métier. Particulièrement dans les endroits où il y a très peu d’images, comme à Dakar, ou dans les pays arabes.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire sur ces photos ?

J’avais envie de souligner des choses qui étaient déjà écrites au sein des images : je prends ce qui existe déjà sur la photo et je le mets en valeur. La plupart du temps, ce sont simplement quelques mots. Une partie du discours qui m’intéresse. Parfois, je rajoute d’autres phrases qui viennent de mes recherches. Certaines images n’avaient pas de textes, ni pancartes, alors j’apporte le mien, mais je suis loin de l’inventer, j’écris à partir de ce que j’ai pu trouver, des revendications faites sur le territoire à l’époque. La relation entre texte, image, couleur est vraiment importante : il y a un travail de composition, il y a une recherche linguistique, car le texte accompagnant chaque image est écrit dans sa langue originale. J’ai choisi d’apporter de la couleur, car il y a une tension, un contraste entre le noir et blanc des images et le texte que je rajoute. C’est une couleur picturale, de l’ordre du dessin. Ça soulève à mon sens une question très intéressante : celle de la vérité de l’image. Il y a toujours ce mythe que l’image est témoin du réel, les couleurs que je rajoute brouille ce rapport entre vérité et fiction, elles rendent aussi les images plus attirantes. Pendant quelques secondes, on est un peu confus lorsqu’on regarde les images : on ne sait pas si c’est une photo ou un dessin et j’aime beaucoup jouer avec cette frontière.

En écrivant dessus, vous rajoutez aussi une couche d’information. C’est important de contextualiser à une époque où on est submergés d’images ?

Oui, c’est important pour moi pour vraiment comprendre les images. La photo est un moyen de raconter des histoires, et les nouvelles générations portent beaucoup plus d’attention aux discours qui ont des images. Alors s’il faut raconter l’histoire aux jeunes, il faut travailler avec des images, elles ont beaucoup plus d’impact que le texte.

Ces photos vont bientôt avoir 50 ans, en quoi est-ce important de les montrer à nouveau ?

La relation entre le temps et l’image n’est pas une relation mathématique. Le temps circule dans les images d’une manière différente que dans l’horloge. Quand tu vois une image, tu peux te dire qu’elle a 50 ans, mais tu peux aussi penser que c’est aujourd’hui. Comme l’image est une interprétation subjective de la réalité – même si elle a une date de production –, elle devient un produit culturel, une œuvre narrative, le temps n’est donc plus le même. C’est ce qui est fascinant dans la photographie, c’est la relative indépendance qu’elle a par rapport au temps. Je laisse le choix au spectateur de décider lui-même si ces photos ont 50 ans ou si elles sont toujours actuelles.

Font-elles écho à l’actualité pour vous ?

Absolument, oui. J’ai parlé avec beaucoup de visiteurs qui trouvent que les problématiques soulevées durant Mai 68 sont les mêmes qu’aujourd’hui. Je pense que les idées de 68 rejaillissent aujourd’hui.

Que diriez-vous à la jeunesse actuelle ?

Je pense qu’ils possèdent un immense pouvoir à maîtriser l’image et son pouvoir de communication aussi jeune. C’est un grand changement de l’histoire de la photographie de voir que massivement, les jeunes générations ont utilisé la photo comme message. Je voudrais leur dire aussi d’utiliser ce langage avec intelligence, pas seulement pour porter un regard sur eux-mêmes, mais aussi pour voir le monde et tenter de le changer.

Les photos de Marcelo Brodsky sont exposées à la 14e Biennale d’art contemporain de Lyon jusqu’au 7 janvier 2018.

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