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L’incarcération de masse des hommes noirs aux États-Unis dénoncée dans une série photo puissante

L’incarcération de masse des hommes noirs aux États-Unis dénoncée dans une série photo puissante

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Par Kimberly B. Johnson

Publié le

À travers ses photos percutantes, Zarita Zevallos tente de rendre compte de l’ampleur de l’incarcération de masse chez les Afro-Américains et leur difficile réinsertion.

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L’incarcération de masse aux États-Unis est un obstacle qui se lève dans la quête de la justice et de la liberté pour tous menée par les mouvements comme Black Lives Matter. Des prisons privées réussissent, avec l’aide de l’État fédéral, à transformer la misère humaine en profit. Et comme on le sait depuis longtemps, ce “business de la prison” affecte tout particulièrement les Afro-Américains. En effet, sur 2,3 millions de détenu·e·s aux États-Unis en 2017, 37 % sont des personnes noires.

Si nous avons privilégié l’écriture inclusive, ce sont surtout les hommes noirs américains qui souffrent de ce fléau. Un Afro-Américain sur quinze est incarcéré. Chez les personnes blanches, ce chiffre est d’un sur cent six. Les répercussions de ce phénomène sur la communauté noire sont difficiles à mesurer et exprimer, mais il est évident que l’incarcération d’une personne a des conséquences directes sur ses proches.

“La manière dont la prison dépouille l’homme de son humanité”

Afin d’ouvrir une discussion, en images, sur les séquelles physiques et mentales des communautés concernées, la photographe Zarita Zevallos s’est lancée dans une série de photos intitulée Pariah qui s’intéresse aux conséquences bouleversantes de l’incarcération chez les hommes noirs :

Pariah raconte l’histoire d’hommes et de femmes noir·e·s opprimé·e·s, mis·e·s au ban par un gouvernement qui cherche toujours à les contrôler ou les éliminer. Des délits mineurs se terminent en prison à vie, et le condamné portera toujours, même après sa libération, cette marque de criminel.

C’est cette réalité que j’explore à travers mon œuvre. Les modèles, par leur gestuelle, retranscrivent les émotions des détenus, et le fil barbelé qui les entrave représente cette cage dont les prisonniers ne s’échappent jamais tout à fait.”

Actuellement, on estime que 80 000 détenu·e·s sont placé·e·s en isolement aux États-Unis. La majorité d’entre eux sont des hommes afro-américains. Sous couvert de réhabilitation sociale, ce traitement cruel et inhumain est en réalité davantage un moyen d’imposer des privations mentales et physiques à une communauté qui a déjà une longue histoire de souffrance et d’oppression derrière elle :

“Pour citer Les prisons sont-elles obsolètes ? d’Angela Davis : ‘L’incarcération est la réincarnation de l’esclavage’. On continue à appliquer la méthode de Willie Lynch qui expliquait comment dominer mentalement l’homme noir pour que les esclaves restent des esclaves.

C’est ce qu’est la prison aujourd’hui aux États-Unis. On les met de force dans un système qui ne pourra jamais leur profiter. Pourquoi y a-t-il plus d’hommes noirs en prison que n’importe quelle autre ethnie ? Pourquoi l’homme noir est-il plus sévèrement puni que l’homme blanc ? On parle d’abolition de l’esclavage, mais il perdure de nos jours, sous les traits de l’incarcération.

Il faut comprendre que les prisons n’ont jamais été pensées pour ‘corriger le comportement’, mais plutôt pour le contraire, et pour faire de l’argent.”

Zarita Zevallos espère que ses images transmettent “la colère”, cette colère face à un “système construit pour nous limiter, nous détruire et prendre l’ascendant sur les opprimés pour le profit économique et politique”. Au cours de ses recherches pour cette série, la photographe s’est longuement entretenue avec Henry Perez, un ancien détenu. Elle explique qu’elle a été horrifiée par la manière claire et précise dont Henry lui a raconté “la manière dont la prison dépouille l’homme de son humanité”. Comme lui explique Henry : “Quoi que tu fasses, tu te sens freiné par ton passé. Ils prennent ton passé et ton présent.”

Aux brimades de l’incarcération s’ajoutent les difficultés de devoir reprendre le cours de sa vie après n’avoir gagné aucun argent pendant de longues périodes. Le salaire minimum journalier des détenus est passé de 93 centimes en 2001 à 86 centimes actuellement.

Quant à Henry, il ne recevait que 15 centimes par jour : “Finalement, au bout de trois ans, j’ai trouvé un travail. Dix dollars par ci, vingt dollars par là. En prison, tu gagnes 15 centimes par jour pour une énorme charge de travail, certains gagnent 15 dollars par mois.”

Comment se réconcilier avec ces années de misère économique et émotionnelle vécue par les détenus et leur famille ? Comment appréhender ce sujet compliqué tout en vivant au paroxysme de l’époque du “business carcéral” ? Ces questions nous pousseront à changer de système, à se battre :

“Je sais que ma voix seule ne pourra pas mettre ce système à bas. Mais peut-être que de cette manière, je peux toucher quelqu’un et lui donner l’envie d’en savoir plus, de faire ses propres constats et de se rendre compte que c’est intenable”, conclut la photographe.

Traduit de l’anglais.