AccueilPop culture

Entre surréalisme et anomalie visuelle, les photos de Martin Kollar, magicien de l’absurde

Entre surréalisme et anomalie visuelle, les photos de Martin Kollar, magicien de l’absurde

avatar

Par Joséphine Faisant

Publié le

Les photos de Martin Kollar, photographe slovaque spécialiste de l’absurde, sont une caresse surréelle pour les yeux. Il parvient à créer dans chacun de ses clichés un mélange surprenant entre anomalie intrigante et douceur envoûtante.

À voir aussi sur Konbini

En 2007, Martin Kollar a sorti une série très justement nommée Nothing Special, composée de photos prises dans les pays de l’Est montrant des scènes incongrues qui font sourire et froncer les sourcils à la fois. En effet, le photographe slovaque nous plonge dans une dimension surréelle, suspendue entre réalité et fiction.

Aucune légende, aucun indice narratif, seul le titre de la série peut apporter une étincelle d’éclairage sur le pourquoi de ces scènes improbables. Nothing Special comprend entre autres des photos montrant un chien sur un toit, une troupe de violonistes traversant un périphérique, des chevaux dans un hall d’entrée… Une collection de moments tout sauf ordinaires.

Une poétique du silence

Le seul élément textuel du travail de Martin Kollar n’est pas un allié sur le chemin de la compréhension, bien au contraire. Il joue sur cette absence de narration en donnant alors à l’image absurde une forme de magie dérangeante qui laisse le spectateur dialoguer avec lui-même : “Est-ce réel ? Est-ce un montage ? Est-ce un film ? Est-ce possible ?” Sans réponse, entre effet cocasse de la situation photographiée et flottement poétique, l’ambivalence de la photo est d’autant plus saisissante.

Ce silence de l’auteur, à propos du contexte, nous retire tout espoir d’explication rationnelle de la scène. Plus la scène est loufoque, plus cette absence est entêtante et maintient une tension qui fait résonner le titre Nothing Special comme un rire lointain.

L’absurdité de l’éphémère

“La notion du ­temporaire glisse entre nos mains, nous luttons contre la désintégration qui prend de multiples formes et contre le vide laissé par l’abandon des anciens dogmes.” C’est ainsi que le photographe présente son travail. La douce ironie dont il imprègne chacune de ses photos traite en réalité d’un sujet profond, celui de l’éphémère : “Il s’agit d’un récit ou d’une représentation photographique qui capte la désintégration du permanent vers le temporaire et le provisoire.”

Les choses qui ne durent pas, l’apparition puis la disparition, sont pour lui ce qui nourrit l’absurdité. La conscience de l’éphémère et la mise en dérision de l’incertain habitent son travail. Et pour cause, Martin Kollar a grandi dans un pays qui n’existe plus aujourd’hui : la Tchécoslovaquie.

Finalement, n’est-ce pas le cas pour chacun d’entre nous ? L’enfance n’est-elle pas au fond un pays dans lequel on grandit, mais qui s’évapore à l’âge adulte ? Dont toutes les fondations pourtant si solides au plus jeune âge disparaissent ou parfois deviennent risibles avec le recul des années. À travers ses photos étranges, Martin Kollar pose un regard amusé et poétique sur cette absurdité qui plane dans un monde où rien ne dure.

Parodie décalée des présentateurs télés

L’univers de la télé n’a pas échappé à la vision décalée de Martin Kollar qui lui consacre une série entière intitulée TV Anchors. On y retrouve alors cette ambiguïté envoûtante qu’il aime photographier, un enchaînement d’illusions du réel aussi vraisemblables qu’improbables.

Debout, fixés comme des piquets dans un décor étonnant, ces présentateurs télé apparaissent comme des héros figés du royaume de l’absurde. Le regard vide, ils sont les épouvantails du champ télévisuel. Le photographe nous fait presque douter de leur existence. On flirte alors avec une ambiance de songe éveillé à la David Lynch, version solaire et colorée.

Une fascination amusante pour les cascadeurs

Toujours dans le même propos autour du couple réalité-fiction, Martin Kollar a réalisé un travail sur les cascadeurs comme son titre l’indique : Stunt Man. L’un d’eux prend feu tranquillement devant une jolie façade délabrée, les deux pieds bien plantés dans le sol, quand un autre semble bloqué dans le vide entre chute et plongeon… Des personnages parfaits pour ce magicien de l’absurde qui s’amuse de leur flottement dans l’illusion de gravité.

Martin Kollar joue sur notre rapport au réel, au solennel, au sérieux, notions qui ne sont en réalité que des antichambres de la douce ironie ambiante. Elle est partout, rien ne semble pouvoir lui échapper et le photographe a su lui rendre un bel hommage à travers ses différentes collections de moments qu’il transforme en persiflages intrigants.

Errance dans les banlieues de Tel-Aviv

Martin Kollar a fait partie du projet This Place réunissant douze photographes internationaux qui ont exploré Israël afin de composer une vision unie des multiples facettes de ce pays (dont l’approche n’est pas évidente). Ses photos d’Israël sont publiées en 2013 dans le livre Field Trip, aboutissement d’une année de vagabondage dans la zone de Tel-Aviv.

Le photographe relate un parcours semé d’embûches durant cette année passée en Israël. Il parle même d’un sentiment de surveillance propice à la paranoïa. Une ambiance au parfum inquiétant qui vient épouser parfaitement la tension réel/irréel déjà présente dans ses photos.

La mort du permanent

En 2015, Martin Kollar est le premier lauréat du Prix Élysée. Lancé en 2014, il est un prix de soutien à la production dans le domaine de la photographie. C’est sa série Provisional Arrangement qui est récompensée. Ce travail composé de 35 photographies prises partout en Europe interroge le règne de l’éphémère dans notre société, à une époque où l’on est sans cesse en train de rebondir et de se renouveler, où plus rien n’est voué à durer, ni les objets ni les relations, ni les croyances ni les passions.

Le basculement du permanent vers le provisoire, perceptible sous de nombreuses formes différentes, plus étranges les unes que les autres, est une véritable inspiration pour le photographe. Il célèbre à travers chaque photo la triste, inquiétante et risible mort de l’immuable. Comme l’explique le photographe dans le portrait qui lui est consacré dans le livre des nominés du prix Élysée :

“La photographie, dans ce cas, est une étape intermédiaire, une sorte de mémoire transitionnelle entre deux moments. C’est là-dessus que je souhaite travailler, combler le vide, construire dans les interstices.”