Festival Photoreporter 2017 : Laia Abril brise le tabou des règles à travers le monde

Festival Photoreporter 2017 : Laia Abril brise le tabou des règles à travers le monde

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Par Lisa Miquet

Publié le

Exposée dans le cadre du festival Photoreporter de Saint-Brieuc, Laia Abril brise le silence autour des règles.

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Les murs de la Maison de l’agglomération de Saint-Brieuc l’expliquent très clairement. Selon une récente étude, effectuée auprès de 100 000 filles en Inde, près de la moitié ne savait rien des menstruations avant l’arrivée de leurs premières règles. Les chiffres consternants continuent “48 % des filles en Iran et 10 % en Inde ont cru à une maladie, pensant même mourir”. Ces chiffres sont mis en lumière par l’artiste espagnole Laia Abril qui, à travers une investigation photographique sur le thème des menstruations, montre à quel point le sujet est encore dans l’ombre aujourd’hui.

Alors qu’une femme passe entre 3 000 et 3 500 jours de sa vie à avoir ses règles, dans de nombreuses cultures, les menstruations sont vues négativement, considérées comme honteuses voire impures. Dans certains pays, les femmes sont régulièrement isolées de leur famille, de leurs amis, elles ne peuvent plus manger certains aliments, cuisiner, toucher l’eau ou encore se déplacer. Creusant des inégalités profondes à travers le temps et l’histoire, ce phénomène naturel nécessaire à la survie de notre espèce n’a pourtant rien de sale.

Laia Abril a donc souhaité briser le tabou des règles, en montrant comment ce silence peut avoir des répercussions sociales et sanitaires désastreuses. Faisant partie d’une œuvre globale intitulée Histoire de la misogynie, cette série sur Le Mythe des règles démonte les stéréotypes et nous informe sur un sujet de société qui touche 51 % de la population. Nous avons eu l’occasion de rencontrer l’artiste, qui nous a présenté son travail avec conviction et pédagogie.

Comment est né ce projet sur les règles ?

En 2015, j’ai commencé un projet qui s’appelle Histoire de la misogynie, le premier chapitre parlait de l’avortement, il montrait les répercussions du manque d’accès à l’IVG dans le monde. Quand j’ai commencé le second chapitre de ce projet, j’ai commencé à faire des recherches sur l’hystérie et sur la manière dont on fait souvent passer les femmes pour des folles qui ne savent pas contrôler leurs émotions. Et puis, j’ai eu l’opportunité de penser un projet pour le festival de Saint-Brieuc, et je me suis dit que le tabou des règles était intéressant, car il connecte à la fois la question de l’avortement et celle de l’hystérie.

Pourquoi c’est important de parler de ce sujet ?

En venant à Saint-Brieuc, dans les transports, je préparais mon speech pour parler de l’exposition. Et je me suis rendu compte que moi-même je me sentais un peu honteuse, un peu mal à l’aise à l’idée de parler de ce projet, alors que je suis assez ouverte sur ce genre de thématiques. Évidemment, le niveau de tabou dépend beaucoup de la zone, de la classe sociale, de la religion, mais souvent, ils sont finalement assez similaires. Ces tabous font sentir aux petites filles, aux adolescentes, aux femmes qu’elles doivent avoir honte de leurs règles, que c’est quelque chose qu’elles doivent cacher. Les femmes doivent vivre avec ce sentiment, ce qui peut avoir de nombreuses conséquences. Dans certains pays, les filles ne vont pas à l’école, car elles ont peur de se tacher, ou parce qu’il n’y a pas toujours d’accès aux toilettes. Dans certaines cultures, on isole les femmes le temps de leurs menstruations : elles ne peuvent pas cuisiner ou approcher l’eau : c’est une manière de les inférioriser. Et puis, il y a des zones où les conditions sanitaires ou d’accès à l’information sont moindres ce qui peut avoir des circonstances désastreuses sur la santé des femmes.

Quand on regarde ton exposition, on voit que le tabou des règles est très présent dans certaines zones du globe encore très peu développées, penses-tu qu’il existe aussi dans nos sociétés plus progressistes ?

Comme le projet se concentre sur les répercussions de ce tabou, les conséquences les plus graves sont dans des pays en voie de développement. Mais bien évidemment, le silence autour des règles existe toujours dans des sociétés comme la nôtre. Ce qui est intéressant, c’est que les personnes qui entrent dans l’expo font immédiatement le rapprochement avec notre actualité : on m’a déjà parlé de la taxe tampon, du congé menstruel. Ce n’est pas parce que je ne parle pas de la situation en Europe que ça n’engendre pas une réflexion chez le spectateur.

Il y a beaucoup de scolaires qui viennent voir ton exposition, comment réagissent-ils ?

Ça dépend, l’exposition déclenche des réactions dans tous les cas… Ce que j’ai pu remarquer c’est que les gens prennent le temps de tout lire, d’observer et ça c’est vraiment agréable. Ce que j’aime bien voir aussi, ce sont les couples d’une cinquantaine d’années voire plus, qui viennent ensemble et qui parlent de ce sujet. Il y a beaucoup de curiosité et d’intérêt et ça me fascine. C’est important de voir des hommes à l’exposition, car ce n’est pas un sujet qui ne concerne que les femmes, mais qui touche aux droits de l’homme de manière plus générale.

À travers tes images, on parle de règles, mais finalement on ne les voit pas. Pourquoi ce choix ?

Une des premières images qu’on découvre en entrant dans la pièce, c’est une image d’une publicité de la marque Always, qui en 2011 a utilisé pour la première fois de l’histoire, la couleur rouge pour parler du sang menstruel. C’était seulement une illustration d’un tout petit point rouge, mais c’était déjà une révolution. Encore aujourd’hui, dans 99 % des cas, on utilise la couleur bleue pour parler des règles, alors qu’on voit régulièrement des bains de sang au cinéma ou dans nos séries. Si on n’est pas capable de montrer la vraie couleur des règles, c’est qu’il y a un problème. J’ai donc choisi de créer un jeu visuel, entre le rouge et le bleu, pour rappeler cette absurdité. De plus, les images que je choisis, ce sont des sortes de déclencheurs : le spectateur ne comprend pas au premier abord de quoi parle l’image, il est obligé de s’approcher, de lire. J’ai tenté de sélectionner des images esthétiques pour que les personnes de prime abord dégoûtées par ce sujet ne prennent pas peur. Mon but est surtout pédagogique, je veux que les gens restent et lisent.

C’est un acte politique de parler de règles en 2017 ?

Si on part du principe que les droits de l’homme sont politiques, oui. C’est un problème économique, écologique, de santé publique, ça touche à énormément de sujets qui ont à voir avec la politique. Ce n’est pas un problème mineur, c’est une question qui touche 51 % de la population mondiale.

En France récemment, nous avons eu un débat sur le “congé menstruel”, quel est ton point de vue là-dessus ?

C’est compliqué. Comme dans n’importe quelle situation, il est nécessaire que, si quelqu’un se sent mal, il ait l’autorisation de rentrer chez lui se reposer. Si quelqu’un se casse une jambe, ça ne choque pas que la personne reste alitée. Donc pourquoi dans ce cas, il devrait y avoir un problème ? D’un autre côté, il y a une partie du débat féministe qui s’inquiète du fait que le monde de l’entreprise puisse instrumentaliser ce congé pour maintenir les femmes à des postes moins importants. Montrer la femme comme plus faible et moins capable : il y a déjà tellement de discriminations à cause des congés maternité… D’un autre côté les femmes qui ont des règles vraiment douloureuses devraient pouvoir souffler, et ne pas payer le prix de ces considérations misogynes. Je n’ai pas une position ferme sur ce sujet.

Quels sont tes projets à l’avenir ?

Je continue mon projet Histoire de la misogynie, avec un nouveau chapitre sur l’hystérie. J’ai un livre sur le sujet de l’avortement qui va bientôt sortir et être présenté à Paris Photo.

Vous pouvez retrouver le travail de Laia Abril sur son site personnel. Son exposition a lieu à la Maison de l’agglomération dans la baie de Saint-Brieuc, jusqu’au 5 novembre 2017, à l’occasion du Festival Photoreporter.

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