Le Soudan mis à l’honneur dans une expo de Claude Iverné à la Fondation Henri Cartier-Bresson

Le Soudan mis à l’honneur dans une expo de Claude Iverné à la Fondation Henri Cartier-Bresson

photo de profil

Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Jusqu’au 30 juillet 2017, la Fondation Henri Cartier-Bresson expose le travail que Claude Iverné a réalisé au Soudan. L’occasion aussi de présenter le nouveau prix HBC : Guy Tillim.

À voir aussi sur Konbini

“Bilad es Sudan” est l’exposition qui se déroule en ce moment à la Fondation Henri Cartier-Bresson. Sur deux étages se révèlent des images de paysages et de portraits que le photographe français Claude Iverné a prises lors de son voyage au Soudan du Nord et du Sud, mais aussi en France auprès des réfugiés soudanais, dans les camps de migrants.

Âgé de 54 ans, parlant l’arabe et faisant partie du collectif Elnour (qu’il a fondé avec plusieurs photographes soudanais), son travail se concentre essentiellement sur le continent africain. C’est lors d’un voyage en Irlande, en 1983, qu’il se lance dans la photo ; là-bas, il fait des photos avec un Instamatic. À son retour, le patron d’un laboratoire photo le complimente sur ses clichés et lui propose d’imprimer des grandes affiches. Grâce à l’argent récolté par la vente de ses posters, il achète son premier appareil photo pro.

Il poursuit dans cette voie et devient l’assistant photo du photographe de Pierre Cardin, de 1985 à 1987, puis travaille pour des grands noms de la photographie de mode. De 1988 à 1992, il est embauché par le studio Pin Up et décide de s’éloigner un peu du milieu de la mode et de la publicité.

De rencontre en rencontre, il finit par tirer le portrait de l’Abbé Pierre et par se passionner ensuite pour l’Afrique, et en particulier pour le Soudan. En 2015, il remporte le prix Henri Cartier-Bresson (HCB) qui lui permet de concrétiser son envie d’aller photographier le Soudan du Sud et ses habitants pendant deux ans, et de réaliser l’expo “Bilad es Sudan”.

Du noir et blanc pour le Soudan du Nord

Sur deux étages, l’exposition a été scindée en deux parties : Soudan du Nord d’un côté (un travail sur lequel le photographe a travaillé pendant vingt ans avant l’obtention du prix HBC) et Soudan du Sud/réfugiés en France de l’autre (projet réalisé dans le cadre de sa récompense).

Au premier étage de la Fondation, on peut découvrir les photos que Claude Iverné a faites au Soudan du Nord pendant plus de vingt ans. Ces photos ont une valeur documentaire et empruntent au genre de la photographie vernaculaire, aux petites choses du quotidien, à l’instar de Walker Evans.

On y voit des portraits de Soudanais portant des “symboles” distinctifs occidentaux, comme cette femme avec une tour Eiffel dessinée sur sa jupe, des pubs Coca-Cola inscrites sur les murs d’un ancien café ou un garçon au tee-shirt Nike. Côté architecture, on peut observer des maisons typiques et des ruines surréalistes développées sur des tirages sombres et charbonneux, uniquement en noir et blanc, ce qui leur confère une certaine froideur sous la chaleur écrasante du pays.

Le contraste et la sous-exposition sont au rendez-vous pour tous ces paysages sauvages et ces vastes étendues de terre aride. Quelques photos en couleurs se mélangent à la partie Soudan du Nord, mais cela reste peu. Les images du Soudan du Sud sont mises dans des cadres avec marie-louise pour créer une respiration, un pont entre passé et présent.

Des couleurs pour le Soudan du Sud et les réfugiés soudanais en France

Au second étage, on retrouve la partie consacrée au Soudan du Sud, en couleurs, ainsi qu’aux réfugiés soudanais venus en France. Durant son immersion de presque deux ans au Soudan du Sud, le photographe a dû revenir par précaution en France à cause des troubles qui sévissaient au Soudan. Il a décidé de réorienter (sans vouloir faire dans la politique) la fin de son projet sur les flux migratoires des Soudanais en France. Au sein de cet espace d’exposition, la partie sur la France est distinguée du Soudan du Sud avec des murs peints en bleu et vert.

Dans le livre photo éponyme de Claude Iverné, édité par Xavier Barral, ce passage du Soudan du Sud à la France est représenté par deux photos : celle d’une mer menaçante et celle d’un petit sentier. La rupture entre Soudan du Nord et du Sud sur deux étages veut rentre compte de la fracture actuelle du pays, aussi bien politique que religieuse (guerre civile entre les musulmans et les chrétiens) et culturelle (l’influence de la culture occidentale). Claude Iverné a d’ailleurs appris l’arabe pour se plonger totalement dans cette culture.

La dimension vernaculaire est encore présente dans cette partie puisque même dans les camps de réfugiés en France, Claude Iverné capture les bâtisses et tentes précaires que les migrants construisent pour se dessiner des toits. Il y a une répétition d’abris insalubres qui se cachent derrière des portraits de migrants, afin de témoigner de l’importance particulière de ces foyers pour les Soudanais. Si une grande chaleur émane des œuvres faites au Soudan du Sud, ce n’est pas le cas des photos issues de la sous-partie axée autour des migrants soudanais.

Ici, pas de marie-louise, on se situe dans le moment présent avec des portraits de réfugiés. Les portraits au Soudan du Nord ne sont pas grandeur nature contrairement à ceux réalisés au Soudan du Sud ; tous ces visages de réfugiés font face au spectateur comme pour lui faire regarder le monde et la misère qui se trouvent en face de lui, lui ouvrir les yeux et le placer devant sa propre réalité.

Les transpositions occidentales et les appropriations culturelles continuent de se lire dans la partie consacrée au Soudan du Sud. De son errance, Claude Iverné a ramené des objets du Soudan du Sud qu’il expose dans un petit cabinet de curiosités situé au centre de la pièce : les livres qui ont nourri ses recherches, des publicités Coca-Cola, des objets de collections soudanais qui sont maintenant exhibés dans des galeries à New York et le signe d’un camel qu’on retrouve sur des affiches, des boîtes d’allumettes et des pièces de monnaie, mais aussi sur la carte de visite du photographe. Ainsi, Claude Iverné dresse une archéologie des lieux.

Dans ses portraits, on voit par exemple un homme torse nu portant un collier traditionnel, des migrants cuisinant un repas traditionnel dans un camp, une Soudanaise avec un pantacourt aux couleurs du drapeau américain, ou encore un garçon en France avec un masque traditionnel et un fond tropical. Les appropriations vont dans les deux sens : un peu de France au Soudan, un peu de Soudan en France.

En tant qu’observateur, le photographe propose une cartographie du Soudan du Sud en France : il présente des portraits de réfugiés dans des lieux de transit situés en Bretagne, à Châtelet, Évry, Trégastel, dans la vallée de la Roya, au bois de Vincennes, ou encore à la Colla Rossa.

Guy Tillim, gagnant du prix HCB 2017

Tous les deux ans, le nouveau prix HCB est annoncé. Le dernier en date était en 2015 et avait récompensé le projet de Claude Iverné. Le 20 juin dernier, le jury de la Fondation a décidé d’offrir ce prix au projet du photographe sud-africain Guy Tillim.

Main dans la main avec la directrice artistique de la Fondation et grâce aux 35 000 euros de dotation, Guy Tillim pourra réaliser son projet pendant deux ans pour ensuite se retrouver exposé sur les murs de la Fondation (qui déménagera bientôt dans un plus grand espace dans le IIIe arrondissement de Paris).

En tant que photojournaliste, Guy Tillim a couvert les conflits d’Angola, d’Afghanistan et du Rwanda. Il a commencé la photographie en 1986 en travaillant avec le collectif Afrapix jusqu’en 1990, et depuis, il a notamment travaillé pour Reuters et l’AFP. À travers une démarche documentaire, il s’intéresse depuis quelques années aux changements liés au colonialisme ; ce Sud-Africain blanc a été marqué par l’apartheid et s’est penché sur le centre urbain pauvre et abandonné de Johannesburg. 

Représenté par Stevenson Capetown et Johannesburg, Guy Tillim a déjà photographié les rues de Johannesburg, Maputo, Lunada, Harare, Libreville, Addis Ababa et Nairobi. Grâce à ce prix, il prévoie de prolonger son travail sur le passé colonial dans les rues de Dakar, Accra, Kampala et Lagos afin de documenter ces paysages de capitales africaines. À suivre…

“Bilad es Sudan” de Claude Iverné, à voir jusqu’au 30 juillet 2017 à la Fondation Henri Cartier-Bresson.