L’expo immersive d’Action contre la faim nous plonge en zones de conflit

L’expo immersive d’Action contre la faim nous plonge en zones de conflit

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Par Lise Lanot

Publié le

Photographies, réalité virtuelle et mise en situation audio sont au rendez-vous.

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L’organisation non gouvernementale Action contre la faim a profité de la Journée mondiale de l’alimentation, le 16 octobre, pour frapper un grand coup en organisant une exposition qui plonge ses visiteurs dans la dure réalité de la sous-alimentation en zone de conflit.

Jusqu’au dimanche 21 octobre 2018, le public aura ainsi l’occasion d’être confronté directement à des problématiques qui peuvent paraître bien abstraites lorsqu’on n’a pas à se préoccuper de savoir si on mangera à sa faim à son prochain repas. Afin de franchir ce fossé d’abstraction que les mots ne suffisent pas à combler, Action contre la faim a mis en place une exposition immersive qui mélange photographie et technologie, dont l’objectif est “d’accéder au sensible”, affirme le porte-parole de l’organisation, Jean-François Riffaud, qui voit dans l’alliance des mondes artistiques et numériques une opportunité “[d’]abolir les distances [et de] rencontrer l’émotion”.

L’exposition rappelle des faits alarmants : depuis trois ans, les chiffres de personnes en sous-alimentation sont en constante augmentation et l’année dernière, ce sont 821 millions de personnes qui souffraient de la faim. C’est plus de douze fois la population de la France. L’élément clef souligné par l’exposition, c’est le lien, indissociable et pourtant trop souvent oublié, entre famine et conflits. En effet, six personnes sous-alimentées sur dix vivent dans un pays en conflit, dans des territoires où l’accès à la nourriture est rendu impossible par des groupes armés ou par les dangers du dehors.

Afin d’éviter une énième exposition classique de photographies devant lesquelles, face des horreurs inacceptables, la plupart des visiteurs se cachent les yeux, l’organisation a préféré mettre en place trois espaces qui se répondent, se complètent et permettent des expériences radicalement différentes.

Un hommage à ceux qui aident, pour ceux qui sont dans le besoin

Un premier segment présente les images de Sandra Calligaro et de Christophe Da Silva, deux photographes dont la majorité du travail est dédiée aux causes humanitaires. Sandra Calligaro, qui a passé plus de dix ans à photographier les conflits en Afghanistan, a réalisé des portraits couleur de visages qu’on ne voit jamais : ceux des employés d’Action Contre la Faim qui consacrent leurs journées à aider les autres. On s’imagine souvent, un peu facilement, que les membres de ces organisations internationales ne sont que des expatriés venus faire le bien loin de chez eux.

Les images de la photographe renversent ce préjugé en montrant que la très grande majorité des salariés est afghane : ce sont des gens qui ont toujours connu ces problématiques et qui ont décidé d’agir. Photographiés à la manière des studios, les modèles sont mis en valeur devant un fond noir, telles des stars. “Tous sont mis sur un pied d’égalité”, insiste Sandra Calligaro, qu’il s’agisse des locaux ou des expatriés, de l’agente d’entretien à la directrice d’un service.

En face de ces portraits, sont présentés les travaux en couleur de Christophe Da Silva, qui a pointé son objectif du côté des centres de santé. On y perçoit les relations entre celles et ceux qui souffrent (beaucoup ne sont que des enfants) et celles et ceux qui les accompagnent, personnel de santé comme proches. Sous les images, des QR codes permettent aux visiteurs d’écouter les voix de certains des sujets photographiés par Sandra Calligaro et Christophe Da Silva.

Dans la peau d’un humanitaire en zone de conflit

Après s’être confronté aux regards de ceux et celles qui souffrent et qui aident, le spectateur peut se mettre dans la peau d’un humanitaire travaillant en zone de conflit. Grâce à une installation en réalité virtuelle, développée depuis plusieurs mois et créée à partir de photographies et d’histoires réelles vécues par des humanitaires, le public se retrouve face à l’immense difficulté de tenter de faire son travail dans une zone en conflit. Sans plonger le visiteur dans un état d’anxiété, l’expérience se révèle vraiment déstabilisante et permet d’avoir un aperçu des obstacles qu’on relie peu souvent aux actions de lutte contre la faim.

Cette utilisation de la réalité virtuelle s’inscrit dans la lignée d’une rencontre, qui date déjà de quelques années, entre culture et numérique. Les musées se sont emparés de la myriade de possibilités offertes par la réalité virtuelle pour une inclusion toujours plus forte du spectateur, souvent dans une visée de sensibilisation. L’Institut du monde arabe avait, par exemple, utilisé cette technologie pour faire vivre “de l’intérieur” des conflits aux visiteurs, avec l’exposition “The Enemy”, et a réitéré cette année l’expérience avec l’exposition “Cités millénaires, voyage virtuel de Palmyre à Mossoul”, qui transporte le public parmi les splendeurs de trésors perdus du Moyen-Orient.

La sensibilisation d’un problème général à travers des histoires particulières

La dernière salle est sans doute la plus chargée, émotionnellement parlant. Plongé dans le noir, le spectateur écoute un échange entre le photographe Guillaume Binet, une femme qu’il est train de photographier et une traductrice. La différence des niveaux sonores, les bruits étouffés, les silences et les “clics” de l’appareil photo nous donnent l’impression d’être une petite souris tapie dans un coin. On se sentirait presque voyeur d’écouter sans mot dire cette femme qui raconte la mort de son fils, la solitude dans son camp. L’enregistrement se termine par ces mots : “J’ai 45 ans mais j’ai l’air d’en avoir 100.” On peut alors passer derrière le rideau qui nous sépare de trois portraits en grand format de Guillaume Binet et découvrir le visage rattaché à l’histoire que nous venons d’écouter.

Mettre un visage sur une voix, des images sur des actions et sur des souffrances permet, en partant du particulier, de pointer du doigt des problèmes malheureusement généralisés. Sans pathos ou volonté de culpabiliser, l’exposition “Vies au cœur du conflit” nous invite à ne pas détourner le regard face à ces atrocités et à comprendre les causes oubliées de la famine.

“Vies au cœur du conflit”, l’exposition immersive organisée par Action contre la faim, est visible jusqu’au dimanche 21 octobre 2018, à l’espace Léon Beaubourg (Paris).