Malgré la guerre, Ayla Hibri capture toute la beauté des rues yéménites

Malgré la guerre, Ayla Hibri capture toute la beauté des rues yéménites

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Par Lise Lanot

Publié le

Alors que le Yémen souffre depuis trop longtemps des combats qui le tiraillent, la photographe Ayla Hibri a rendu hommage en images à sa beauté hypnotisante.

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Depuis le début des années 2000, et suivant les conséquences de la réunification du pays en 1990, le Yémen souffre de ses instabilités politiques et sociales. Suite à la guerre du Saada de 2004 (soit l’insurrection de la communauté chiite houthi du nord du pays à l’encontre du pouvoir central), un coup d’État renverse le président sunnite Abd Rabbo Mansour Hadi, qui avait lui-même remplacé le président Ali Abdallah Saleh après la révolution de 2011, et les différentes factions du territoire s’entre-tuent.

La complexité de cette guerre civile, qui polarise en filigrane les conflits entre l’Arabie saoudite et l’Iran, la rend presque invisible sur la scène internationale, alors même que près de dix milliers de Yéménites ont trouvé la mort depuis 2015 et que les habitants souffrent en sus de vagues épidémiques de choléra, en partie à cause du manque d’aide apportée aux populations.

En ce début décembre 2017, les affrontements sont devenus tellement violents au sein de la capitale yéménite, Sanaa, et la situation tellement critique, que le président américain Donald Trump a appelé l’Arabie saoudite à lever son blocus sur la nourriture, l’eau, les médicaments et l’essence et à venir en aide à leurs voisins du nord.

Malgré les difficultés à entrer dans le pays, la photographe Ayla Hibri a eu l’opportunité de passer quelque temps à Sanaa, grâce à une combinaison de “chance et de curiosité naïve” nous raconte-t-elle, et alors que la période était “relativement calme”. Pendant deux semaines, l’artiste a photographié autant qu’elle l’a pu les rues de la capitale et ses habitants, sachant qu’il ne lui serait sans doute pas si facile d’y retourner de sitôt.

Les images d’Ayla Hibri sont empreintes de l’émotion qu’elle a ressentie en découvrant l’architecture à couper le souffle de la vieille ville (inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco), en particulier sa centaine de mosquées, ses maisons datant d’avant le XIe siècle et ses milliers de “maisons-tours”, considérées comme les premiers gratte-ciel du monde, hautes de six à huit étages et destinées à rapprocher le plus possible les résidents du Ciel.

Malgré la violence qui peut animer ses villes et villages, le Yémen reste attaché à ses traditions et à ce qui a constitué son aura par le passé :

“Le Yémen diffère de nombreux autres pays arabes que j’ai visités. De bien des façons, la manière de vivre et l’esthétique yéménites n’essaient pas de copier l’Europe.

Cela dit, je n’idéalise pas leur mode de vie. La culture du khat [arbuste consommé par les habitants de la région, qui le mâchent pour ses propriétés euphorisantes, ndlr] a grandement fragilisé l’agriculture et les ressources d’eau du pays, et j’ai vu beaucoup de gens armés mais les traditions et l’architecture yéménites sont des joyaux qui ont résisté au passage du temps”, nous confie la photographe.

Le monde extérieur rendu envoûtant

Les scènes quotidiennes des rues sont magnifiées à travers la série Arabia Felix, qui parvient à capter des regards, des attitudes et des compositions fascinantes. Soit une transformation de l’ordinaire en extraordinaire par l’artiste. Armée de son 35 mm, la photographe est partie dans une quête de la beauté, en marchant et posant son œil avisé sur tout ce qui l’entourait : “Cette beauté peut être subtile, elle peut être grandiose, voire laide, mais elle fait partie d’un réseau plus important qui vise à englober l’essence et la psycho-géographie d’un lieu et d’un endroit”.

Au milieu de l’agitation, visuelle et sensorielle, des photographies, un ou plusieurs personnages instillent souvent un sentiment de calme presque déstabilisant à l’image, par leur regard dirigé droit vers l’appareil. Ces regards sont parfois si puissants que le spectateur ressent d’autant plus la présence invisible du photographe, récepteur de ces émotions contenues.

Ayla Hibri qualifie d’ailleurs ces rencontres photographiques de “jeu de séduction, d’échange d’énergies”. Elles sont rendues plus faciles par sa connaissance de la langue arabe et le fait que ses sujets étaient aussi curieux d’elle qu’elle l’était d’eux :

“Parfois, je vole un moment comme un brigand, mélangeant des sentiments de culpabilité et d’excitation. D’autres fois, je demande la permission, bravant ma peur et espérant une réaction amicale.

J’ai eu de la chance parce que les habitants sont chaleureux et accueillants. Ils étaient fiers et beaucoup d’entre eux désiraient être photographiés.”

Les visages, majoritairement masculins, et l’architecture d’exception qui les entourent sont d’autant plus sublimés par le grain particulier et les caractéristiques intemporelles instiguées par l’argentique. En plus de la qualité esthétique des photographies, celles-ci nous rappellent le devoir que nous avons de protéger “un endroit tellement magique”.