Rencontre : Charles Fréger part à la découverte de costumes iconiques dans le monde entier

Rencontre : Charles Fréger part à la découverte de costumes iconiques dans le monde entier

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Par Joséphine Faisant

Publié le

Charles Fréger photographie les tenues protocolaires, les uniformes et les costumes. Il nous raconte cette mission photographique.

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Voilà bientôt vingt ans que Charles Fréger s’intéresse aux costumes et aux uniformes en collectant des images des quatre coins du monde. Portraits iconiques ou silhouettes spectaculaires et envoûtantes, le travail de Charles Fréger est le fruit d’un protocole photographique minutieux. Ses photos nous font découvrir des communautés inconnues à travers un prisme insolite, celui de la tenue traditionnelle.

Cheese : Documenter le costume, pourquoi ?

Charles Fréger : C’est un projet qui s’est mis en place progressivement depuis 1999. Initialement, c’était plutôt l’uniforme, les vêtements spécifiques au sein des écoles, des clubs sportifs, des régiments, de certaines religions, dans toute l’Europe. Petit à petit, le projet a évolué vers des tenues de protocole, plus théâtrales. Notamment avec le projet sur les majorettes en 2000-2001, puis les légionnaires, les sumos au Japon, ainsi que tous les corps d’armée avec les gardes royales, républicaines, pontificales.

Passer de l’uniforme au costume, c’est aller vers plus de sophistication, d’outrance ?

Il s’agit en effet de tenues très codifiées mais ce n’est pas de l’outrance. Par exemple, je ne m’intéresse pas beaucoup au kitsch. L’outrance peut souvent donner lieu à des choses assez kitch. Il y a une certaine sophistication dans la complexité de la tenue. C’est cette complexité qui m’intéresse.

Comment se passe la collaboration sur place ? Es-tu le metteur en scène ou est-ce plutôt une collaboration orchestrée laissant plus de place à l’improvisation ?

C’est comme un compromis, une négociation. C’est un dialogue entre eux et moi qui passe par la manière dont je vais les photographier, ça se décide sur le moment de la prise de vues. Il y a quelque chose qui se règle entre eux et moi.

Il y a une part documentaire. Je documente des traditions festives, japonaises par exemple, et d’autre part, j’évite de trop documenter justement. Quand j’arrive sur place, le lieu devient mon terrain d’exploitation, et il y aurait beaucoup de choses à filmer ou photographier, notamment dans une approche ethnologique, mais ce n’est pas mon propos. Je me concentre sur le portrait et la silhouette. Je ne viens pas photographier un costume mais quelqu’un qui vient porter et habiter ce costume. En revanche, la forme du costume me donne une idée de comment j’aimerais le photographier.

Je les emmène dans mon espace, cela se passe sur mon territoire photographique, avec mon idée du résultat. Une vision qui peut être parfois loin de la manière dont ils sont habituellement représentés. Je n’ai pas de réaction négative même si la façon dont je travaille peut surprendre ou être décalée par rapport à la norme de ces groupes. Personne ne m’a jamais reproché la manière dont je les ai photographiés, ils comprennent assez rapidement que je ne viens pas faire un reportage sur leurs fêtes.

J’ai un protocole photographique particulier, je cherche des espaces qui vont me permettre de photographier la silhouette. J’opère avec un projet d’édition, je vois ça comme un livre. Il m’arrive de photographier en imaginant presque cela comme une double page, et je vois alors comment certaines images vont se répondre, s’enchaîner.

Comment choisis-tu le cadre photographique pour chaque costume ?

En général, je m’intéresse au milieu dans lequel ils opèrent, près de là où se passent les festivités et la conception des costumes. Je vais chercher avec eux un endroit qui va convenir. Pour la série Yokainoshima, il y avait souvent des costumes connectés à certains temples donc il n’était pas autorisé de sortir les costumes. Certaines tenues sont plus ou moins sacrées, on devait alors opérer en se fiant à cette contrainte-là, rester dans le carré du temple. Mais finalement, les contraintes c’est très pratique, car ça permet de ne pas partir dans tous les sens.

La série Fantasias est particulièrement surprenante, peux-tu nous en dire plus ?

Ce sont les membres d’une école de samba au Brésil (dans le Mina Gerais) qui a la particularité d’être productrice de ces tenues que l’on appelle des “fantasias”. Ce sont des tenues massives qui nécessitent un savoir-faire un peu spécifique, car ces vêtements sont constitués d’une structure métallique. Le tout forme un costume, je les envisage dans leur globalité. Ils sont presque iconiques, les membres du groupe deviennent des sortes d’idoles. Lors du défilé, ils/elles sont hissé·e·s sur des chars et dansent dans l’espace de leur fantasia.

C’est la première série, en 2008, où j’ai pris le parti de les photographier vraiment dans la nature. Sortir ces silhouettes dans la nature, qui sont habituellement exposées en milieu urbain. Le Mina Gerais est très vallonné, cela pourrait faire penser au Puy-de-Dôme, et offre alors des décors qui m’ont permis d’imaginer une résonance aux costumes et par ailleurs, aussi de donner de l’espace, du volume. Ce ne sont pas des tenues à photographier en studio. Aller en extérieur, c’était nécessaire. On passe d’un costume de carnaval à une tenue de rituel.

Il ne s’agit pas d’une école d’une mégapole comme Rio donc c’était pour moi plus facile, notamment dans la mise en place avec le paysage. Cela nous a permis de circuler de la ville à la campagne plus facilement. J’ai pris plaisir au choix de l’environnement, cela devient presque sacré visuellement. Cette série m’a mené, un an plus tard, au projet Wilder Mann en extérieur également, que je complète régulièrement.

Par ailleurs, en cadre intérieur, j’aime particulièrement la série Opera, réalisée avec l’Opéra de Pékin, ces enfants sont captivants, ils jouent si jeunes ?

À l’Opéra de Pékin, les enfants apprennent à devenir un personnage dans l’opéra. Un personnage complexe. Dans une vie, ils vont être amenés à jouer un ou deux personnage·s, pas plus. Les élèves de l’Opéra chinois apprennent à jouer à la perfection leur personnage. Ce n’est pas une interprétation, il faut incarner absolument le personnage, connaître sa gestuelle. De l’acrobate au guerrier, c’est une histoire de corps, de sensibilité de chacun sur plusieurs années. Les gestes, les chants, les danses sont complexes. Ils doivent apprendre à s’habiller et se maquiller eux-mêmes. La transformation est totale.

Comment qualifierais-tu ton protocole photographique au sein des communautés que tu visites ?

Techniquement, je n’ai pas le temps de rentrer en immersion au sein des groupes, je passe d’un lieu à un autre assez vite. Certains professionnels rentrent complètement dans le jeu, moi, ce n’est pas mon projet. Il s’agit pour moi de représenter un certain nombre de choses, de faire une sorte de collection. Je m’en tiens à mon projet. Souvent, quand je vais en prise de vues, c’est un voyage de village en village, de ville en ville. Parfois je passe seulement une journée ou une demi-journée auprès d’un groupe. C’est court. C’est pour ça que je ne peux pas dire que j’ai une connaissance aiguë de ce que je photographie. Je laisse parler les ethnologues.

C’est toi qui es à l’origine de ces découvertes ou tu es mandaté par des ethnologues ?

C’est moi, je choisis où je vais. C’est vraiment lié à un appétit photographique, des formes qui m’intéressent plus que d’autres. C’est comme ça que je procède. Je vais m’intéresser à une forme photographique qui va me guider dans mon voyage.

Comment fais-tu tes recherches ?

C’est un mélange. Parfois, je travaille avec des livres, de vieux ouvrages d’ethnologie, notamment. C’est très variable. Cela peut arriver qu’on me parle de quelque chose dans un pays et je commence alors à fouiller. Il y a des projets qui prennent plusieurs années, comme Wilder Mann et Yokainoshima, où c’est vraiment un territoire sur lequel je vais travailler et je vais m’y fier. Tandis qu’un projet comme Fantasias par exemple, c’est plus court, une quinzaine de jours. Actuellement, j’ai tendance à travailler sur des projets à long terme, plus lourds en termes de préparation.

Et puis le projet se bâtit au fur et à mesure dans le voyage, ce qui peut même influencer la préparation d’un autre voyage, quelque chose que je n’imaginais pas et qui finalement m’attire. Je travaille en gardant la possibilité de découvrir des choses pendant le voyage.

Il y a des photographes qui se laissent trop aller quand ils voyagent, ils prennent trop d’opportunités. L’enjeu est de se donner des limites, de se dire : “Ça, c’est mon territoire, ça, non.” Je vois des choses incroyables sur le chemin quand je voyage, mais je dois me rappeler que ce n’est pas pour cela que je suis venu. C’est une discipline.

Mais rien ne m’empêche de revenir par la suite, retourner photographier ces choses. La discipline photographique, il n’y a pas d’autre terme. La photographie, c’est une histoire d’attitude. Vraiment. Ce n’est pas juste faire des photos. J’aime l’idée d’un protocole, d’une méthode, d’une attitude recherchée. C’est rigoureux. Après, ça ne veut pas dire que ça marche à tous les coups.

En termes d’inspiration esthétique, tu as des préférences ?

J’aime bien toute la culture de la photographie du XIXe siècle, qui m’inspire pas mal. Cette photographie me parle beaucoup ainsi que tous les voyageurs de ce siècle.

J’ai lu que tu avais aussi un grand respect pour le travail d’August Sander

Alors oui, mais August Sander, c’est le XXe siècle, c’est le photographe allemand qui a fait un inventaire des populations de son pays, presque par classes sociales, sur une période assez longue, pendant plus de trente ans. C’est une rencontre avec une population, c’est vraiment rare.

Il y a très peu de photographes qui ont travaillé avec la même rigueur que Sander à l’époque. C’est quelqu’un qui s’est créé une sorte de mission photographique. Il a un véritable mode photographique, une manière de photographier qui lui est propre. Ce n’est pas aléatoire.

Une méthode qui se prête bien à la photo dite anthropologique, c’était pour toi un objectif de départ ? Documenter ainsi l’uniforme et le costume pour réfléchir aux codes des sociétés qu’ils incarnent ?

Effectivement, il y a quelque chose d’anthropologique dans cette méthode de travail, mais ce n’est pas forcément le projet en soi. Assez rapidement, on comprend que ce que l’on photographie, ce sont des aspects de la société, mais il n’y a pas d’idéologie derrière. En photographiant tous ces groupes, on produit une image de la société, à travers les différents milieux sociaux notamment. Très souvent, même ces groupes de mascarades, ils sont produits en réponse à la société, dans un contexte culturellement ancré. Cela dit beaucoup sur une société.

Mais je m’intéresse aussi à l’utilisation du corps au sein d’un groupe, comment le corps se transforme, comment l’individu fait partie avec son corps d’un groupe. Par exemple, la série dans les écoles de police de Moscou parle vraiment de l’apprentissage, du devenir, de la transformation pour prendre une identité. Et permet de voir comment apprendre un métier ou faire partie d’une corporation transforme physiquement. À force d’égrener les différents milieux, on apprend sur ce qu’est la vie en communauté, les rapports entre l’identité d’une personne et le collectif.

Les hiérarchies sociales semblent-elles disparaître ou au contraire sont-elles traduites dans les codes des célébrations costumées ?

C’est complètement aléatoire, cela dépend de chaque personne. Il n’y a pas de discours absolu sur la perte de l’identité. Le fait de porter la même robe peut provoquer autant l’épanouissement de soi que la perte dans la culture collective. Tout dépend du recul personnel ou non. Certains ont un recul par rapport à la communauté à laquelle ils appartiennent, d’autres sont complètement happés par la culture de la communauté.

Retrouvez également Yokainoshima : Célébration d’un bestiaire nippon aux éditions Actes Sud et Parade : les éléphants peints du Jaipur aux éditions Les Grandes Personnes.

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