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Rencontre : entre peinture et photo, les œuvres abstraites de Dimitri Cohen-Tanugi rendent hommage aux films cultes

Rencontre : entre peinture et photo, les œuvres abstraites de Dimitri Cohen-Tanugi rendent hommage aux films cultes

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Par Aude Jouanne

Publié le

Fruits d’expérimentations visuelles au rendu pictural, les images du photographe français Dimitri Cohen-Tanugi capturent les scènes les plus connues de films cultes et brouillent les frontières entre dessin et photographie.

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Depuis sa démocratisation dans les années 1960, la télévision n’a cessé d’être une source d’étude et de création pour le monde artistique. Andy Warhol notamment était fasciné par ce médium de communication de masse, véritable outil de promotion sociale et personnelle, et désireux d’être autant derrière l’écran en produisant son émission de télévision qu’à l’écran dans la mise en scène de sa propre vie jusqu’à sa mort.

Point de départ de sa série Couch Photography, la télévision remplit bel et bien dans le travail de Dimitri Cohen-Tanugi ce rôle de vecteur d’universalité. Dans une sorte de mise en abîme visuelle, le photographe, également producteur, réalisateur et scénariste à la ville, capture les scènes mythiques des films diffusés sur le petit écran : le rideau de douche de Psychose, la course-poursuite sur les toits de Sueurs froides, les mains tatouées de Robert Mitchum dans La Nuit du chasseur, entre autres images gravées dans l’inconscient collectif.

À l’image pourtant, difficile de reconnaître les scènes emblématiques des films dont elles sont issues. En décomposant les mouvements, les photographies de Dimitri évoquent à première vue des coups de pinceaux, la matière qui s’étale sur une toile, les tâches de couleur d’une peinture impressionniste. Dans la tradition des pictorialistes, Dimitri efface les frontières entre peinture, dessin et photographie, créant un jeu d’énigmes visuelles empreint d’onirisme. Retour sur le processus artistique d’un passionné de l’image, touche-à-tout technologique qui ne se limite pas au boîtier de son appareil photo.

Cheese : Quand as-tu découvert la photographie ?

Dimitri Cohen-Tanugi : La photo a toujours été une passion à côté de ma formation et mon métier. J’ai fait une école supérieure d’arts graphiques (Penninghen) avant de m’orienter vers les images de synthèse à Supinfocom. J’ai ensuite monté avec un ami une boîte de production, Kawa, spécialisée dans la production de films cinématographiques, de vidéos et de programmes de télévision. On a fait des choses pour MTV, des billboards, on a expérimenté la 2D, la 3D… La photographie n’est pas si éloignée de la 3D, la manière de travailler est la même. On place les lumières, on travaille les textures, il faut imaginer ce que ça va donner, avec des rendus réalistes ou façon cartoon. C’est vraiment comme un studio photo.

Faire de la photographie, c’est aussi une façon pour moi de m’extraire de la 3D, parce qu’en 3D, il faut tout prévoir, surtout en animation, on ne peut pas se permettre d’avoir une minute de trop. Ce que j’aime dans la photo c’est justement le hasard, l’instant décisif. Mais il faut le voir cet instant, il faut rester à l’affût, c’est ce qui m’intéresse justement.

Quelles sont tes influences ?

Je m’intéresse aux pictorialistes, pour cette idée de ne plus faire de distinction entre peinture et photographie, ainsi qu’aux glitchs (ces erreurs d’encodage qui apparaissent à l’écran) et à leur potentiel graphique. J’aime beaucoup Jacques Perconte, un artiste français qui exploite ces erreurs en réalisant des sortes de paysages filmés avec des pixels aléatoires, et Nicolas Provost qui joue également sur ces aberrations d’images en vidéo.

Ta précédente série, On dirait le sud, présentait déjà un rendu très pictural. Peux-tu nous parler de ton procédé photographique et de son évolution ?

J’ai commencé la photo par des clichés de rue et, progressivement, je suis allé vers quelque chose de plus personnel où j’ai essayé de mêler le dessin et la photo pour obtenir un rendu qui n’était finalement pas très photographique. J’ai d’abord utilisé un appareil photo argentique puis j’ai expérimenté des rendus un peu plus alternatifs avec notamment le bromoil (technique de tirage photo à l’huile qui transforme une image argentique noire et blanche en une image encrée), et le tirage lith, qui donne un rendu très contrasté, très graphique, qui ressemble un peu à de la photocopie.

Quitte à avoir un rendu qui ressemble à de la photocopie, je me suis dit que je pouvais directement utiliser ce procédé. La photocopie permet d’expérimenter de nombreuses manières de transférer l’image. À l’aide d’une presse par exemple, pour donner une image inversée, mais aussi à l’aide d’une cuillère. Tu peux également utiliser le toner en transférant sur d’autres papiers avec un solvant ou des huiles essentielles. Avec cette manière de transférer l’image, le rendu peut être très proche du dessin.

Quelle est l’origine de ta série Couch Photography ?

C’est un retour vers le cinéma que j’ai opéré il y a environ neuf mois et qui découle de mes expérimentations photographiques. Avec les photocopies, il faut superposer plusieurs images pour avoir des noirs très profonds. Je me suis dit qu’il serait intéressant de faire apparaître les images d’avant l’image capturée et celles d’après, ce qui est techniquement possible avec la photocopie grâce au mouvement.

Le film étant le meilleur moyen d’avoir ce mouvement, c’est comme ça que j’en suis arrivé à prendre en photo mon écran de télévision. J’ai transposé mon processus de photocopie en pose longue avec ce que j’avais sous la main, à savoir mon téléphone. Ce qui m’intéressait derrière ça, c’était de photographier une forme de mémoire que l’on a d’un film, les images fortes qui y sont associées et qui sont partagées universellement.

Comment as-tu mis en scène cette mémoire collective ?

Je suis parti sur une trilogie à la manière du Bon, la Brute et le Truand. “Le Bon”, ce sont les meilleurs films, les films cultes de l’histoire du cinéma. “La Brute”, ce sont tous les nanars qui essaient de reproduire ce qu’il y a dans les films cultes, mais avec une certaine naïveté. “Le Truand”, ce sont les films noirs, ces films qui présentent une image très forte, qui arrivent à une certaine esthétique qui n’est plus du tout corrélée à la réalité.

N’importe qui peut aujourd’hui parler d’un détective privé, dire à quoi il ressemble en se basant sur ce genre de films, c’est un glissement très intéressant de la réalité vers la fiction. Beaucoup de ces films ont été réalisés dans années 1950-1960, mais les frères Coen ou Tarantino ont repris ces codes à leur compte. L’objectif de ma série est de faire en sorte que l’on puisse reconnaître les films capturés, mais aussi de susciter l’envie de voir ceux que l’on n’a pas vus. Le choix des films est important. Je mets par exemple en avant certains nanars avec un œil bienveillant. Ce n’est pas fait pour se moquer, au contraire, c’est une façon de montrer qu’il y a du bon dans ces films.

Comment choisis-tu tes films justement ?

Je regarde quasiment un film tous les matins et je ne m’impose rien en matière de choix de réalisateurs. Le plus souvent, je vais sur IMDb et je m’inspire des listes de films existantes. Bizarrement, ce ne sont pas forcément les films les plus esthétiques qui font les meilleures photos. Par exemple, je n’ai pas réussi à tirer grand-chose de In The Mood for Love malgré toutes ces images au ralenti, ces très belles lumières, alors qu’un film comme The Roller Blade Seven, que tu ne trouves quasiment qu’en version VHS, permet de réaliser de superbes photos grâce au grain flou propre à ce support.

Comment travailles-tu tes images ?

Au début, je photographiais avec mon iPhone, maintenant j’essaie de reproduire les images à l’ordinateur pour effacer les frontières entre les différents médiums. C’est le hasard que je recherchais au départ, mais je réalise maintenant de plus en plus mes photos avec After Effect. Je refais exactement ce que l’iPhone fait avec en plus la possibilité de retoucher directement l’image. J’essaie de dépasser le cadre de la photographie, en élaborant un processus à mi-chemin entre la photo et la vidéo.

Quels sont tes prochains projets ?

En parallèle de ma trilogie, j’ai commencé  à développer un projet autour des présidentielles, avec cette idée de voir ce qui se cache derrière le miroir. Le mouvement, c’est du paraverbal, beaucoup de choses passent par là. Chez les hommes politiques, c’est encore plus flagrant. Pour ce projet, je garde le même procédé photographique que pour ma trilogie, mais j’utilise cette fois toutes les vidéos mises en ligne autour des élections, celles réalisées directement par les candidats, en rapport avec les primaires, etc.