Le Too Tired Project, ou comment libérer la parole sur la dépression à travers la photo

Le Too Tired Project, ou comment libérer la parole sur la dépression à travers la photo

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Par Sirine Azouaoui

Publié le

La photographe américaine Tara Wray veut ouvrir le débat sur la santé mentale avec un compte Instagram contributif.

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Tara Wray a longtemps été Too Tired For Sunshine, “trop fatiguée pour le soleil”. Un sentiment de tristesse profonde que même une journée ensoleillée ne permet pas d’apaiser. C’est également le titre de son livre publié en juillet dernier aux éditions Yoffy Press. De 2011 à 2018, la photographe américaine a ainsi immortalisé sa dépression et ses angoisses à travers des captures mélancoliques du quotidien. Pendant ce temps-là, elle a arrêté l’alcool, eu des jumeaux et s’est difficilement faite à sa nouvelle vie rurale dans le Vermont après des années passées dans l’agitation de New York.

De cette expérience est née l’idée du Too Tired Project. Pour aider à libérer la parole autour de la dépression à travers une plateforme d’expression collective et en images. Pour regrouper tous ceux pour qui la photo est aussi une thérapie, comme l’explique Tara Wray :

“À travers les réseaux sociaux, je pense que nous nous présentons comme on voudrait que les autres nous voient. Le Too Tired Project nous donne la permission de montrer une version de nous-mêmes moins soignée, plus honnête.”

Et d’aborder avec créativité le sujet de la santé mentale. Les différentes contributions donneront lieu à la publication d’un livre.

La mélancolie du quotidien

La photographe et réalisatrice américaine a toujours utilisé l’art comme une manière de chasser ses pensées négatives ou de s’y confronter. Depuis dix ans, la photo est son outil pour évoquer ses difficultés et les partager avec les autres. Un diner vide, une tête de chien renfrogné, des jeux pour enfants sous la neige ou encore de la vaisselle qui s’empile dans un évier… De loin, on lit avant tout la banalité de scènes de la vie quotidienne. Mais à y regarder de plus près, ses photos sont joliment mélancoliques, emplies du spleen, de l’ennui et du chagrin que l’artiste ressentait dans ces moments.

“Certains jours étaient très sombres, je me sentais perdue et désespérée et d’autres jours, j’arrivais à percevoir de l’humour et de la lumière”, se rappelle Tara Wray. À l’image du sourire de cette vieille dame, bigoudis sur la tête. La publication du livre Too Tired For Sunshine et les retours des lecteurs lui ont permis de se sentir moins seule : “L’idée m’est venue que peut-être d’autres pourraient ressentir la même chose s’ils avaient une plateforme pour partager leur propre travail.”

Un projet qui arrive “au bon endroit, au bon moment”

Instagram lui apparaît alors comme le réseau parfait par son interactivité. Pour la photographe, “on peut voir une communauté se former quasiment en temps réel”. Et le projet a facilement trouvé son public. Le compte du Too Tired Project a déjà reçu près de 1 000 soumissions photographiques après un mois d’existence. “On dirait qu’il arrive au bon endroit au bon moment !”

La page affiche déjà de belles contributions avec des anecdotes, des couleurs et des points de vue très différents. Une mère documente son sentiment d’anxiété après la naissance de sa fille. Une autre photographe évoque les problèmes familiaux qui lui ont valu beaucoup de stress, d’isolement et de douleur.

En plus des photos, Tara Wray a reçu des témoignages de personnes pour qui la photographie est devenue vitale dans leur lutte contre la dépression. Une femme lui écrit ainsi presque immédiatement après le lancement du compte.

Après un internement en hôpital psychiatrique, elle a trouvé dans la photo un moyen d’être présente dans le monde, un bouclier qui lui permettait de se sentir en sécurité. Ce qui confirme pour elle l’intérêt d’un tel projet : “J’ai tout de suite compris que les gens allaient partager de vrais sentiments, et qu’on pourrait réaliser quelque chose de puissant.”

L’ouvrage Too Tired For Sunshine est disponible aux éditions Yoffy Press.