5 installations impressionnantes et poétiques à admirer au festival de Chaumont-sur-Loire

5 installations impressionnantes et poétiques à admirer au festival de Chaumont-sur-Loire

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© Éric Sander

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

D'Agnès Varda et sa "serre du bonheur" à Stéphane Thidet et ses "pierres qui pleurent", la Saison d'art a su nous émerveiller.

La Saison d’art et le festival international des jardins de Chaumont-sur-Loire viennent chaque année enchanter les hauts lieux du Domaine. L’art fleurit sans limite dans ses étables, ses écuries, ses granges, ses chapelles et bien évidemment son château labyrinthique et ses pièces cachées. Depuis 1992, les jardins se parent de leurs plus beaux bijoux, et depuis 2008, le Domaine – inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco – propose un parcours faisant la part belle à l’art contemporain.

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Les œuvres sont non seulement à découvrir dans des lieux insolites, mais aussi sur les nombreuses petites collines qui entourent le château et qui donnent sur la Loire et ses charmants bateaux. La beauté de ce mariage parfait entre jardins et art réside dans l’éphémère et le paysage mouvant.

“Géométrie discursive”, Vincent Mauger. (© Éric Sander)

La directrice du Domaine et commissaire d’exposition Chantal Colleu-Dumond – dont la programmation nous a éblouis par son éclectisme et sa diversité – qualifie d’ailleurs ces créations de “tableaux vivants”. Et il est indéniable que l’art prend vie dans ce cadre en osmose avec la nature qui file sur trois saisons : printemps, été, automne.

Parmi la douzaine d’artistes invité·e·s (dont Sheila Hicks, Eva Jospin, El Anatsui, Vincent Mauger, Cornelia Konrads, Giuseppe Penone et Gao Xingjian) pour cette édition “sous le signe du rêve et de la poésie”, nous avons relevé cinq grands coups de cœur. À découvrir avant le 3 novembre 2019. 

Stéphane Guiran et ses 5 000 fleurs de quartz

“Le Nid des murmures”, Stéphane Guiran. (© Donnia Ghezlane-Lala/Cheese)

L’artiste Stéphane Guiran signe pour Chaumont-sur-Loire l’œuvre la plus poétique du festival. Au sein du Manège des écuries, l’installation Le Nid des murmures présente 5 000 fleurs de quartz qui remplissent l’espace et jouent avec la lumière.

En fond, une musique atmosphérique mêlant les chuchotements d’un enfant et des sons issus de ses voyages en Inde est diffusée. La forme circulaire du lieu et ces milliers de géodes cueillies à la main au Maroc permettent une acoustique immersive.

“Le Nid des murmures”, Stéphane Guiran. (© Donnia Ghezlane-Lala/Cheese)

Avec la même tonalité poétique, il résume son travail ainsi :

“En décembre 2016, en résidence en Inde, j’ai enregistré des enfants Dalit (caste des Intouchables) lorsqu’ils murmuraient leurs rêves alors que nous réalisions ensemble une fleur de cristal. Puis en janvier, dans le Manège, le Oud et la Voix sont venus l’un après l’autre, en présence des quartz, ensemencer ce lieu. Les improvisations, libres et spontanées, réunies dans un paysage sonore fait de murmures et de souffles du vent, sont comme une invitation à un voyage intérieur. Oser aller à la rencontre de soi.

De notre imaginaire. Des murmures que l’on a oubliés, qui reviennent parfois dans nos rêves avant qu’on ne les oublie à nouveau. […] J’ai imaginé un nid fait de géodes glanées dans l’Atlas marocain. […] On prête au quartz blanc cette magie de donner écho aux pensées et émotions.”

Un voyage sacré qui vous plongera dans une douce rêverie, aux allures de nid douillet.

L’adieu d’Agnès Varda

“La Serre du bonheur”, Agnès Varda. (© Donnia Ghezlane-Lala/Cheese)

Dans les galeries de la cour des jardiniers, Agnès Varda signe son dernier adieu avec trois créations touchantes. La cour comprend donc un hommage à sa chatte Nini qu’elle met en scène avec simplicité sur un tronc d’arbre déraciné ; et une série de photos pour laquelle elle a photographié en plongée les mains de ses amis en couple sur sa nappe de table, liés d’un amour sincère, à grand renfort de patates flétries en forme de cœur. Mais la création qui nous a le plus marqués était sa Serre du bonheur.

“L’Arbre de Nini”, Agnès Varda. (© Éric Sander)

La Serre du bonheur fait partie de ses “cabanes de cinéma” qu’elle s’est mise à créer après avoir réfléchi à un moyen intelligent de recycler ses pellicules de films. Celle qui est présentée à Chaumont-sur-Loire est consacrée à son film Le Bonheur, sorti en 1964 et relatant une histoire de polyamour impossible entre un homme, son épouse et une postière.

Dans une cabane en verre transparent recouverte de 2 159 mètres de pellicules du Bonheur, Varda a placé de (faux) tournesols, symbolisant l’amour. On peut ainsi visualiser seconde par seconde son film complet, du toit aux murs.

“La Serre du bonheur”, Agnès Varda. (© Donnia Ghezlane-Lala/Cheese)

À propos de son projet, la réalisatrice confiait : “Pour moi la nostalgie du cinéma en 35 mm s’est transformée en désir de recyclage… Je bâtis des cabanes avec les copies abandonnées de mes films. Abandonnées parce qu’inutilisables en projection. Devenues des cabanes, maisons favorites du monde imaginaire.” Avant de poursuivre :

“À l’époque, les copies de films arrivaient dans les cabines de projection sous forme de cinq à huit boîtes de métal, rondes comme des galettes de 4 cm d‘épaisseur. Dans chaque boîte, une bobine en métal sur laquelle était enroulé un grand ruban de 500 à 600 mètres de pellicule : c’était le film en images avec sur le côté le dessin optique du son.

Le projecteur de la cabine avait deux lampes, l’une transmettait l’image, l’autre le son. De nos jours le support de chaque film est un fichier numérique, image et son, qui pèse en moyenne 200 grammes quand il n’est pas dématérialisé. On a jeté un peu partout des quantités de bobines et de pellicules… Pour mes films et ceux de Jacques Demy, on s’est retrouvés avec des copies et des copies, dont les salles de cinéma ne veulent plus. On sait que je m’intéresse au glanage et au recyclage.

C’est la troisième cabane que je construis. Pour chacun de mes films, j’imagine une forme particulière. Le film ‘Le Bonheur’ réalisé en 1964 contait l’histoire d’un couple heureux, incarné par Jean-Claude Drouot, sa femme et ses enfants. Ils aimaient les pique-niques.

J’avais tourné en Ile-de-France en pensant aux peintres impressionnistes. On entendait du Mozart. Le générique était tourné près d’un champ de tournesols, ces fleurs d’été et de bonheur.

Cette serre, avec ses doubles fenêtres si particulières, est fabriquée avec une copie entière du film, 2 159 mètres, qui permettront de compléter la construction. Les visiteurs pourront entrer dans la cabane et voir de plus près, les images du film en transparence. 24 images de la douce Claire Drouot valent une seconde de film. On est entourés par la durée du film et par les images d’un temps passé.

Quant aux boîtes pour transporter les bobines, elles sont devenues obsolètes. J’aime ces boîtes. Je me souviens qu’on en trimballait des masses (une centaine au moins) qui tintaient quand on les jetait dans les coffres de voiture pour aller mixer les films. Des boîtes pour l’image, pour les dialogues en direct, pour des musiques, pour les bruits… Est-ce encore nostalgie et/ou recyclage ? Une arche royale faite de ces boîtes vides de pellicules 35 mm nous invite à entrer dans le royaume de la seconde vie des films.”

On ne se doutait pas que ces trois œuvres allaient être ses dernières et que ce refuge détiendrait une charge émotionnelle et symbolique aussi forte.

La chapelle fleurie de Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger

“Les pierres et le printemps”, Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger. (© Donnia Ghezlane-Lala/Cheese)

C’est toujours le printemps dans la chapelle du château de Chaumont-sur-Loire, et c’est bien grâce à l’œuvre du duo suisse Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger. Leur installation pérenne Les pierres et le printemps met en scène des éléments végétaux touffus et désordonnés, des feuillages à profusion, des fleurs séchées et graminées cueillies dans les jardins du Domaine.

Comme un jardin suspendu, en apesanteur, cette création nous ramène à un univers onirique entre l’organique et l’artificiel, dont les couleurs jouent avec la lumière et s’inspirent des vitraux de ce lieu sacré où Catherine de Médicis assistait à la messe.

“Les pierres et le printemps”, Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger. (© Donnia Ghezlane-Lala/Cheese)

La particularité de l’œuvre réside dans un certain sens de l’humour et dans l’amour des artistes pour les choses qui détonnent puisque si on regarde de plus près, notre regard peut heurter un téléphone Nokia 3310, des petits monstres sur des colonnes, ou encore des souris et fourmis nichées sur des branches. Une œuvre qui saura vous étonner.

Les pierres qui pleurent de Stéphane Thidet

“Les pierres qui pleurent”, Stéphane Thidet. (© Éric Sander)

Deux œuvres de Stéphane Thidet sont exposées dans le cadre de la Saison d’art 2019. Dans la galerie basse du fenil, There is no darkness joue avec la tension qui oppose l’eau et l’électricité à travers une installation hypnotisante présentant une ampoule allumée et suspendue au-dessus d’un bassin.

Cette lumière frôle la surface d’un bassin d’eau noire en traçant une forme circulaire et en laissant un sillage au milieu de lentilles flottantes. “Cette œuvre nous parle du temps, de la lumière, des ténèbres et d’un dessin sans fin”, explique l’artiste français. 

“There is no darkness”, Stéphane Thidet. (© Donnia Ghezlane-Lala/Cheese)

Mais l’œuvre qui nous a le plus touchés est celle qui se trouve dans la Grange aux Abeilles, intitulée Les Pierres qui pleurent. Des blocs de pierre sont suspendus et “font couleur au désespoir”.

Et ce désespoir a la couleur de la terre cuite et pèse jusqu’à 300 kilogrammes. La particularité de ces pierres lourdes comme des cœurs remplis de tristesse, c’est qu’elles pleurent, elles suintent, elles se vident d’eau.

“Les pierres qui pleurent”, Stéphane Thidet. (© Éric Sander)

Dans un débit régulier, un filet d’eau tombe du plafond de la grange par intermittence, et se dépose sur la pierre qui fait couler ses larmes, par gouttes, sur le sol. Le paysage de cette installation est alors changeant, tuméfié de cratères et façonné par l’eau : parfois, il est aride et sec comme un désert, d’autres fois, il est humide comme une grotte. Une installation sensible qui vous emmènera sur Mars.

Le gigantesque serpent de Henrique Oliveira

C’est dans la Grange aux Abeilles que l’artiste brésilien Henrique Oliveira a installé son œuvre Momento Fecundo : une impressionnante spirale aux couleurs boisées, similaire à un serpent (ou à une racine enfouie), s’enroulant aux charpentes et aux escaliers de l’édifice. Tout est construit avec des matériaux de récupération qui rappellent les favelas.

“Momento Fecundo”, Henrique Oliveira. (© Donnia Ghezlane-Lala/Cheese)

Le mouvement donné à cette queue de serpent donne une impression de menace, de danger : on ne sait pas où se trouvent le début et la fin de son corps, et on ne peut que l’imaginer surgir et se mouvoir devant nos yeux dans toute sa grandeur. Au centre de la structure, une forme carrée dénote, comme si l’animal avait ingurgité une grande caisse.

On ne peut s’empêcher d’y voir un petit clin d’œil au Basilic d’Harry Potter ou au boa du Petit Prince de Saint-Exupéry, ayant avalé un éléphant.

D’autres œuvres à découvrir à Chaumont-sur-Loire

“Momento Fecundo”, Henrique Oliveira. (© Donnia Ghezlane-Lala/Cheese)

“Rupture (Lakmé’s dream)”, Cornelia Konrads. (© Donnia Ghezlane-Lala/Cheese)

“Trattenere 8 anni di crescita (continuerà a crescere tranne che in quel punto)”, Giuseppe Penone. (© Éric Sander)

“Géométrie discursive”, Vincent Mauger. (© Éric Sander)

“Cire perdue”, El Anatsui. (© Éric Sander)

Le Jardin des Hypothèses de Bernard Lassus. (© Éric Sander)

Le Jardin des Hypothèses de Bernard Lassus. (© Éric Sander)

“Glossolalia”, Sheila Hicks. (© Donnia Ghezlane-Lala/Cheese)

“Glossolalia”, Sheila Hicks. (© Donnia Ghezlane-Lala/Cheese)

“En plein midi”, Klaus Pinter. (© Donnia Ghezlane-Lala/Cheese)

“En plein midi”, Klaus Pinter. (© Donnia Ghezlane-Lala/Cheese)

Le Jardin de la Pie, de Carrie Preston, Farhana Rasheed, Enora Elmoznino et Tess Krüs. (© Éric Sander)

“La Serre du bonheur”, Agnès Varda. (© Donnia Ghezlane-Lala/Cheese)

“L’Arbre de Nini”, Agnès Varda. (© Éric Sander)

“À deux mains”, Agnès Varda. (© Éric Sander)

“La Serre du bonheur”, Agnès Varda. (© Donnia Ghezlane-Lala/Cheese)

“La Serre du bonheur”, Agnès Varda. (© Éric Sander)

“L’Arbre de Nini”, Agnès Varda. (© Donnia Ghezlane-Lala/Cheese)

“Le Nid des murmures”, Stéphane Guiran. (© Donnia Ghezlane-Lala/Cheese)

“Le Nid des murmures”, Stéphane Guiran. (© Donnia Ghezlane-Lala/Cheese)

“Les pierres qui pleurent”, Stéphane Thidet. (© Donnia Ghezlane-Lala/Cheese)

Château de Chaumont-sur-Loire. (© Alex MacLean pour le Domaine de Chaumont-sur- Loire)

Le festival international des jardins et la Saison d’art sont à découvrir à Chaumont-sur-Loire jusqu’au 3 novembre 2019.