Dans une piscine, cette installation d’un cosmonaute à la dérive vous plongera dans une douce rêverie

Dans une piscine, cette installation d’un cosmonaute à la dérive vous plongera dans une douce rêverie

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Pour la Nuit Blanche, l’artiste franco-brésilienne Eva Medin investit la piscine Rouvet, à Paris.

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En entrant dans la piscine Rouvet, Eva Medin court de bout en bout, de longueur en longueur, pour ajuster la lumière et le son de son installation immersive Storm Station, qu’elle révélera ce samedi 6 octobre, de 20 heures à 2 heures du matin, lors de la Nuit Blanche, à Paris. Dans ce cadre aquatique et pour le moins insolite, l’artiste franco-brésilienne nous plonge dans un long moment de contemplation. Storm Station raconte l’histoire d’un cosmonaute à la dérive, sur un radeau, perdu au milieu d’une eau chlorée et céleste, dans un paysage futuriste.

L’attente et l’ennui sont de mises pour ce personnage attachant, qui nous rappelle nos plus jeunes rêveries enfantines, à mi-chemin entre l’émerveillement d’un conte pour enfants et l’absurdité de la pièce En attendant Godot, de Samuel Beckett : Je m’intéresse aux contes comme une lecture sociale de notre époque”, nous dit-elle.

Pour ce projet, Eva Medin nous explique que sa première intention a été de “créer un récit in-situ en travaillant simultanément l’espace, le mouvement et le son, comme une seule matière”. En effet, l’astronaute − tantôt incarné par Bastien Mignot, tantôt par Calixto Netto − qui s’ennuie est loin d’être baigné dans un cadre exclusivement tragique : “Il se situe dans une atmosphère entre tragique et comique, entre l’inquiétant et le familier.” Armé d’accessoires, d’un bateau télécommandé, d’une flûte et d’un seau, ce personnage s’occupe en jouant ou en s’étirant comme un gymnaste.

Bien qu’il soit dans une situation désespérée qui le ramène à sa condition d’homme seul face à l’univers, à sa finitude, le cosmonaute se retrouve dans un quotidien simple, en suspens, qui le rend humain, tout en suscitant la tendresse, “à l’image de la figure des clowns, de Buster Keaton ou des films de Tati”.

Medin oppose cet univers enfantin et clownesque aux représentations héroïques de la conquête spatiale, comme un anti-héros. Elle crée un décalage entre le fait d’être simplement un homme et ce désir de pouvoir dans l’évolution :La conquête spatiale, comme les conquêtes maritimes, nous parle des envies d’exploitation de l’humanité. J’ai voulu plutôt travailler sur un moment d’arrêt dans cette course en avant.”

Grand travail de scénographie

Pourtant, l’action est dramatique, telle une représentation théâtrale où performance, musique et installation se mêlent. Le groupe Pointe du Lac viendra synchroniser en direct une bande sonore unique aux gestes intuitifs et absurdes du cosmonaute. Une eau qui frissonne, un mouvement de bras ou encore le son d’une flûte se répercuteront dans des bruitages produits sur-mesure.

C’est ici la casquette de scénographe d’Eva Medin, qui a collaboré entre autres avec des chorégraphes, qui entre en jeu. Travaillant habituellement sur le corps et la déambulation du spectateur, l’artiste permettra ce soir-là aux visiteurs de se balader autour de la scène, sur les deux étages offerts par la piscine Rouvet. De même que la performance sera partagée entre les prestations alternatives du cosmonaute et des plongeuses qui viendront valser sous l’eau pour créer des interludes et une composition au tout.

Le naufragé, quant à lui, a des partitions à suivre, mais une grande partie est laissée à l’improvisation. “J’ai arrêté des postures à partir de cela mais il crée en direct sa chorégraphie et son histoire”, précise-t-elle. La pièce de théâtre se crée au fur et à mesure, performances gestuelle et musicale entrant en harmonie.

Passionnée par le cosmos, la science-fiction et la peinture romantique, Eva Medin nous raconte que la figure du cosmonaute est un élément qui revient comme un leitmotiv dans ses travaux artistiques, notamment dans SMARS, un court-métrage qui met en scène des enfants astronautes dans une crèche. Derrière ce personnage qui appelle la mélancolie et le monde de l’enfance, l’artiste a déployé une grande toile qui reflète l’eau et ses ondulations. Cette toile “pose un théâtre” et donne une impression d’infinité propre à notre univers. À travers ce spectacle poétique, Eva Medin cherche à “reconstituer le réel pour le redonner à penser”.

Une exploration de la figure du conquérant

Si l’œuvre est ouverte à l’interprétation du visiteur, et qu’au premier abord, et du fait de notre exposition quotidienne à des flux denses d’informations, nous avons pensé à un hommage aux migrants, Eva Medin veut témoigner de manière plus universelle de la place de l’homme dans ce monde. Elle nous précise que la portée politique “arrive par détour, en ayant recours à l’humour, au décalage, à l’imaginaire de l’enfance, en réinvestissant des mythes universels, et à travers ce personnage neutre qui devient un symbole universel”. En effet, avec ce masque qui neutralise le personnage du cosmonaute, le visiteur peut facilement s’identifier. Les actions jouées par le sujet n’ont, de ce fait, aucune indication d’émotions et on peut projeter ce que l’on veut sous ce masque.

“L’atmosphère ‘suspendue’, d’attente, de contemplation, fait émerger, il me semble, des questions quant à la survie de l’espèce, et à notre façon d’habiter le monde. Je remets en perspective un paradoxe : l’ambiguïté entre l’idée romanesque, épique de la figure du conquérant, et notre condition de simple habitant d’un espace réduit (dont les ressources ne sont pas inépuisables).”

Ce personnage du conquérant la passionne, qu’il soit spatial ou maritime, il est le signe du progrès et de l’avancement. Elle s’interroge : “Qu’est-ce qu’il se passe avant ces progrès-là ?” Avant d’aller dans l’espace, les astronautes s’entraînent dans une piscine. Sinon, il ne se passe pas grand-chose, à l’image de l’intrigue fondée sur le non-événement mise en place par cette installation. Elle opère tout un travail sur l’ambiguïté du personnage : est-il en train de se préparer à la conquête spatiale ou de s’ennuyer et de passer le temps ?

Pas besoin d’enlever vos chaussures, pas besoin non plus d’amener votre maillot de bain, il vous suffit de contempler et de vous laisser bercer par cette scène hors du temps. En sortant, il nous reste le goût du chlore dans la bouche, et nos yeux nous piquent comme si notre contemplation onirique nous avait fait plonger avec ce naufragé. Votre Nuit Blanche deviendra alors bleu océan.

L’installation Storm Station, d’Eva Medin est à voir lors de la Nuit Blanche, samedi 6 octobre de 20 heures à 2 heures du matin, à la piscine Rouvet (Paris).

Performance sonore : Pointe du Lac (Julien Iheuilier et Richard Frances). Plongeuses : Anaïs Heureaux et Léa Troullard. Costumes : Manon Martin. Un projet artistique réalisé en partenariat avec la Mairie de Paris, Cininter, Agence aimko, Galerie Espace à vendre, Bleu Passion, ARS.com, Flam and Co et Be My Guest Production.