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Mais d’où vient cette position accroupie qui envahit Instagram ?

Mais d’où vient cette position accroupie qui envahit Instagram ?

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© Kendall Jenner

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Par Lise Lanot

Publié le

L'essor des positions "Hot et Rap Squats" serait révélateur des appropriations d'une classe sociale sur une autre.

On dit qu’une image vaut mille mots. Pour tenter d’exposer les mille facettes de leur personnalité en une publication, les stars d’Instagram redoublent d’imagination. Après le succès de la #BambiPose, une ingénieuse posture agenouillée permettant de mettre en avant la courbe de ses fesses tout en amincissant sa taille, il fallait bien que les milliers d’images envoyées à la minute sur les réseaux se renouvellent.

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Assez rapidement, la #BambiPose s’est donc vue rattrapée par des positions non plus agenouillées mais accroupies. Ainsi, la #HotSquat (aussi appelée #PrisonPose, #JailPose ou #ThotSquat) et la #RapSquat (ou encore #SlavSquat) ont envahi nos fils d’actualité.

Ces dernières sont toujours flatteuses pour la silhouette, en tout cas selon les canons de beauté portés aux nues sur Instagram, mais elles dotent aussi les publications d’un petit côté plus menaçant. So long Bambi, la tendance est désormais plutôt du côté du chasseur. Qu’a-t-il bien pu se passer ? On est là pour poser les vraies questions.

Retour dans le temps : la “Prison Pose”

Aficionados de rap US, ce genre de poses accroupies devrait vous rappeler de bons souvenirs.

L’Urban Dictionary, l’encyclopédie américaine qui référence termes et expressions argotiques, définit la “Prison Pose” comme une “pose où les personnes photographiées sont accroupies et essaient d’avoir l’air dur. Souvent vue dans les photos de gangs en prison”. Rien d’étonnant donc dans le fait que le rap US de ces dernières décennies ait repris cette iconographie dans nombre d’albums.

Au début des années 2010, la communauté Twitter commençait à tourner en dérision la Prison Pose. En 2013, un article publié sur Noisey tentait de décrypter cette résurgence d’un phénomène qui a connu son heure de gloire à la fin du XXe siècle, sur les covers d’albums d’artistes tels que Nas avec Hip Hop is Dead, Eric B. et Rakim avec Don’t Sweat the Technique ou Paid in Full.

Le dos de l’album “Paid in Full” d’Eric B. et Rakim, 1987. On y retrouve Eric B., Rakim, Kool G Rap, 50 Cent, Rap, Killer Ben, Ant Live, Supreme Magnetic.

Interrogé par Noisey, Bauce Sauce, le “lord de tous les rap squats”, assure que la posture constitue une sorte de menace : “C’est un peu comme si vous envoyiez le message : ‘Yo, je suis à la cool pour le moment mais je peux toujours te sauter à la gorge comme un opossum fou si jamais tu dis un truc de travers’.” Pas sûr que les instagrameurs et instagrameuses de l’an 2019 aient de telles pensées en tête lors de leurs séances photo.

Dans les années 2000, les rappeurs continuent d’abaisser leur centre de gravité, à l’instar de Snoop Dogg, avec Ego Trippin, ou de 50 cent qui propose une variante de la posture sur la cover de son album Just a Lil Bit. On le voit en “rap squat”, genoux écartés et mains jointes en forme de prière.

“Just a Lil Bit”, 50 Cent, 2005.

Comme l’abondance récente de Prison Pose et de Rap Squat (mises en scène par des modèles ni visiblement incarcéré·e·s, ni particulièrement gangster) sur les réseaux continuaient de nous intriguer, nous avons remonté l’historique de ces postures, afin de voir plus loin qu’un subtil hommage aux photos d’équipes de foot de notre enfance.

Voyage dans le monde : virage à l’Est

Si elles ont visiblement pris de l’ampleur dans la culture américaine, notamment avec le rap West Coast, les tendances de mèmes sur Twitter puis l’assaut des influenceur·se·s, ces poses seraient pourtant issues de l’Asie, entre la Russie et la culture manga.

De James Bond à Iron Man II, la figure de l’ennemi russe fait partie intégrante de la culture populaire américaine. Sur YouTube, un dénommé Life of Boris abreuve ses millions d’abonné·e·s de vidéos décryptant d’improbables phénomènes slaves.

En plus de ses deux vidéos intitulées “Comment faire des squats comme un Slave ?” et “Pourquoi les Slaves font des squats” (et de leur quasi 10 millions de vues cumulées), l’Internet regorge de contenus associant la position accroupie à l’homme russe, notamment un certain type, le “gopnik”, comme l’expliquait Mel Magazine à son lectorat américain :

“Sans que vous l’ayez remarqué, vous avez sans doute en tête un stéréotype du jeune homme russe. Il privilégie les survêtements Adidas, une casquette et des chaussures en cuir à bouts pointus. Il fume des cigarettes et des bières bon marché ou de la vodka.

Entre son expression et son environnement, il est associé à la pauvreté et à la criminalité. Il est presque toujours accroupi dans un ‘Slav Squat’.”

“Les stéréotypes du Russe de l’époque. Les stéréotypes du Russe d’aujourd’hui.”

Au Japon, la pose ne date également pas d’hier, puisqu’on la retrouve dans de nombreux mangas, notamment dans GTO avec le personnage d’Onizuka ou dans Death Note et son mystérieux L constamment accroupi sur ses chaises de bureau. L’aspect menaçant se double donc d’une dimension particulièrement énigmatique. Au Japon, une partie des jeunes est adepte du Yankee Style, dont les codes vestimentaires sont rattachés aux “jeunes délinquants” japonais et dont les modèles photo posent souvent de la même façon.

Il est intéressant de noter que ces postures, rattachées dans l’imaginaire collectif à la pauvreté et à la délinquance, sont le plus souvent récupérées par des internautes au casier judiciaire vierge et aux comptes en banque plutôt bien remplis.

Tout comme certaines célébrités s’approprient des codes vestimentaires et esthétiques, cette récupération de ce qui appartient à une classe sociale populaire par la bourgeoisie forme une “relecture luxe du monde”, comme le notait Alice Pfeiffer dans une vidéo pour Fraîches. Dans cette dernière, la journaliste posait également la question suivante : “Pourquoi des filles bourgeoises ont eu envie de s’habiller en ‘caillera’ ?”

Fin des années 2010 : de gangsters à portemanteaux

Ainsi, une simple pose devenue phare sur les réseaux a des ramifications à travers le temps et l’espace. Ce qui semblait être l’apanage de cultures de l’Est puis l’attribut de gangs pénitenciers et d’un certain style musical s’est démocratisé jusqu’à en devenir l’antithèse capitaliste.

Sous couvert de mystère et de street cred, ces postures permettent souvent d’exhiber une silhouette particulière, une allure un peu sportive mais aussi sa dernière paire de baskets ou une collab’ de marques à la mode.

L’émergence de ces positions a finalement beaucoup à dire sur certaines problématiques et appropriations sociales du monde contemporain. On se demande bien quelles prochaines tendances les mondes du luxe et du cool trouveront à piller pour leur prochain fond de commerce.

À lire -> La #BambiPose, nouvelle tendance Instagram et ode à la fesse (qui a beaucoup à nous apprendre)