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Ces pochettes d’albums rendent hommage à… des pochettes d’albums

Ces pochettes d’albums rendent hommage à… des pochettes d’albums

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Par Aurélien Chapuis

Publié le

Mieux que le ” 10 years challenge”, ces “covers de covers” sont de plus en plus nombreuses ces derniers mois.

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En 2018, de nombreux visuels d’album avaient un air de déjà-vu. On connaissait le sample musical, échantillon d’un titre bouclé pour reprendre l’énergie ou rendre hommage à l’original, mais les samples visuels sont plus rares. Le plus connu reste celui des Clash reprenant Elvis Presley pour London Calling. On avait aussi repéré Queen, qui s’est inspiré du visuel de l’album de Nazz pour Queen II. Cette composition sera d’ailleurs reprise en 1995 par The Verve, pour un clin d’œil en cascade.

Cet écho visuel permet, au même titre que le sampling, de développer une culture étendue autour des œuvres, comme un moodboard géant aux ramifications sans fin. Cet hommage visuel a également remis sur le devant de la scène des albums mythiques de jazz, de soul ou de funk que les artistes, rap pour la plupart, ont écouté des millions de fois dans leur jeunesse. 

Ces derniers mois, ce sampling d’artwork s’est dirigé du rap vers le rap. En y regardant de plus près, ce n’est pas vraiment étonnant. Les premiers classiques de ce style musical ont maintenant entre 30 et 40 ans, il est donc normal de voir des albums récents leur rendre hommage. Cela démontre le caractère immuable du rap et sa longévité exceptionnelle, alors que beaucoup pensaient l’enterrer bien vite.

Entre 2017 et 2018, de nombreuses pochettes d’albums ont joué la carte du sample visuel, du plus flagrant au plus crypté. Voici notre sélection des plus emblématiques, des plus incongrus ou simplement des plus drôles.

Eminem – Kamikaze (2018)
Beastie Boys – Licensed to Ill (1986)

La reprise sûrement la plus emblématique de 2018 est celle des Beastie Boys par Eminem. Cet hommage marque plusieurs points. Déjà, il symbolise l’amour d’Eminem pour les premières sorties du label Def Jam, produites en grande partie par Rick Rubin, dont le rappeur est maintenant très proche.

Il marque aussi pour Eminem un retour aux sources plutôt frontal. En effet, Licensed to Ill est le premier album rap des Beastie Boys, groupe essentiellement hardcore punk à ses débuts dans le centre de New York. Ils ont ainsi posé les bases des mélanges rap/rock et aussi des brassages culturels entre communautés aux États-Unis.

Les trois Beastie Boys étaient aussi connus à l’époque pour leurs provocations potaches et leurs délires autodestructeurs, penchants qu’Eminem affectionne lui aussi particulièrement. Et le visuel en lui-même, un avion qui se crashe à grande vitesse sans se soucier de rien, est un parfait pont entre les univers des artistes. Au final, Kamikaze a aussi été l’un des albums les plus vendus de l’année 2018, comme Licensed to Ill à son époque, qui fut le premier disque rap à être numéro un du Billboard. Une filiation naturelle.

Stefflon Don – Secure (2018)
Lil Kim – The Notorious K.I.M. (2000)

Autre filiation totalement logique, celle de l’artiste anglaise Stefflon Don avec la légendaire Lil Kim. En reprenant le visuel sulfureux de l’album de The Notorious K.I.M. sorti en 2000, Stefflon Don rend hommage à une artiste précurseure.

Proche de Notorious B.I.G. au sein de Junior Mafia, Lil Kim a été une des premières rappeuses à afficher sa sexualité comme un homme et à l’utiliser comme une arme de pouvoir féministe. Encore plus sur cette cover, en s’affichant dénudée mais chargée de bling-bling, cheveux au vent. Le détail important se trouve dans le regard, le maquillage et le simple grain de beauté au-dessus des lèvres pulpeuses.

En reprenant cette icône, Stefflon Don affirme une filiation avec le rap américain et surtout avec ses rappeuses dures et sensuelles qui ont fait bouger les lignes à la fin des années 1990. Lil Kim est sûrement celle qui la représente le mieux et elle n’est pas la seule dans ce cas : on pense à la jeune Maliibu Miitch, qui remixe son légendaire “Crush on You”. De notre côté, on a toujours un “crush” sur Lil Kim, chirurgie ou non.

Freddie Gibbs – Freddie (2018)
Teddy Pendergrass – Teddy (1979)

En 2018, Freddie Gibbs a choisi de rendre hommage à un artiste soul/R’n’B plutôt que rap. Mais le choix de Teddy Pendergrass n’en est pas moins anodin. Véritable crooner capricieux, le chanteur de Philadelphie était connu pour ses hits langoureux et ses frasques folles.

En reprenant l’univers un peu disco de la pochette, Freddie Gibbs offre une autre facette de sa personnalité, plus plurielle. Freddie est un des albums les plus éclectiques et introspectifs de l’année 2018 qui trouve un parfait écho dans cet hommage au plus célèbre des Teddies.

03 Greedo – God Level (2018)
Makaveli – The Don Killuminati (The 7 Day Theory) (1996)

03 Greedo est un rappeur très en vue de Californie. En mélangeant sa voix cartoonesque à ses histoires courtes et violentes, il propose une des formules les plus modernes du rap actuel. Ce n’est pas un hasard qu’il rende hommage, sur la pochette de son album God Level, à un artiste qui lui correspond totalement.

En 1996, The Don Killuminati avait déchainé les passions. Sorti deux mois après sa mort, cet album posthume de 2Pac l’a fait changer de nom pour Makaveli et délivrer la musique la plus sombre et paranoïaque de sa carrière. Parfaite balade sanglante dans le Los Angeles post-Rodney King, The Don Killuminati reste un des albums les plus politiques et subversifs de son époque.

En reprenant la position du Christ sur la croix, jouant la provocation autour de la foi, 03 Greedo assure une suite aux prêches hallucinés de 2Pac avant sa mort. Lui aussi coupé brutalement dans son élan par une peine de prison de 25 ans, 03 Greedo a peut-être sorti en 2018 son dernier album avant quelque temps. De nombreux rappeurs se sont considérés comme des 2Pac de leur génération, mais 03 Greedo a un large ensemble de points communs, encore plus en esprit qu’en musique. Un sample visuel de grande qualité. Et “Hail Mary” !

G-Herbo & Southside – Swervo (2018)
Eric B & Rakim – Follow the Leader (1988)

G-Herbo est une tête chercheuse de Chicago, précurseur de la drill avec Chief Keef, Lil Durk et Lil Bibby. Depuis plusieurs années, il est encensé par nombre de ses pairs, comme Common ou Vince Staples, pour son rap abrasif, ses rimes dures et sa voix rocailleuse.

Pour Swervo, sa collaboration avec le producteur Southcide, légende de la trap d’Atlanta, G-Herbo décide de rendre hommage à un autre duo iconique : Eric B. and Rakim. Avec le visuel de Follow the Leader, les pionniers du rap moderne arboraient fièrement leurs vestes en cuir customisées par Dapper Dan, assis sur le capot d’une Rolls-Royce.

Pour les 30 ans de Follow the Leader, jour pour jour, G-Herbo et Southcide proposent la version en survêtement rouge sur capot blanc d’une Maybach. Le propos est le même : puissant, extrême et royal. En reprenant jusqu’à l’inclinaison de la photo, le duo actuel marque son allégeance à une des pièces maîtresses du rap américain, où Rakim était alors le rappeur intouchable. Et pour continuer ce combo qui fonctionne parfaitement, le duo rempile en ce début d’année avec la sortie de Still Swervin, toujours aussi dévastateur.

Gucci Mane & Metro Boomin – Drop Top Wop (2017)
Clipse – Lord Willin (2002)

Sorti en 2017, Drop Top Wop, l’album commun de Gucci Mane et Metro Boomin, est un cas très intéressant. En effet, le visuel peint reprend quasiment détail par détail celui de Lord Willin’, le premier album de Clipse sorti en 2002. Mais plutôt que de reprendre la disposition exacte, c’est une réinterprétation totale qui s’opère ici.

On y retrouve le petit chien tacheté, le duo au volant, la pelouse, le graffiti avec le même type de couleur, les vitres cassées et le panneau de localisation (“East Atlanta” contre “Virginia Beach”). Mais le Christ sur la banquette arrière est remplacé par les billets volants de Gucci Mane, attirant la foule hystérique.

Cette belle transposition rend hommage à un univers fondateur, celui du duo Clipse et de ses paroles de dealers mystiques poussées par les sèches productions des Neptunes. Lord Willin a ainsi droit à une renaissance inédite par le biais de Gucci Mane et son retour en grâce, libre comme l’air avec un sourire éclatant. “Cot Damn” !

Allan Kingdom – Peanut Butter Prince (2018)
Isaac Hayes – Juicy Fruit (Disco Freak) (1976)

Un peu moins exposé que les autres, Allan Kingdom est un jeune Canadien proche de la clique de Spooky Black alias Corbin, jeune chanteur iconoclaste suivi de nombreux fanatiques. Allan Kingdom a eu son quart d’heure de gloire en rejoignant Kanye West sur son titre “All Day” en 2015.

Mais cette exposition a plus été une malédiction qu’une bénédiction. Depuis, le jeune artiste bataille pour trouver sa place avec pourtant des albums de très bonne facture, une écriture versatile et une signature vocale envoûtante. Sur Peanut Butter Prince, il propose des nombreuses pistes entre danses caribéennes, rap actuel et pop séduisante.

Un univers parfait pour reprendre le visuel d’Isaac Hayes pour un de ses albums les plus dansants et sensuels, Juicy Fruit (Disco Freak). Et il y a même plus de cinq fruits et légumes par jour, donc tout est parfait, y compris la moue communicative de nos deux artistes.

Joe Lucazz – Carbone 14 (2018)
Miles Davis – Bitches Brew (1970)

Seul Français de notre liste, Joe Lucazz a sorti trois albums en 2018. Parmi ceux-là, le très bon Carbone 14, produit entièrement par Pandemik Muzik, aborde des sujets sociaux et culturels via le prisme du parcours de Joe Lucazz. Quoi de plus naturel que de les voir reprendre la peinture mythique du Bitches Brew de Miles Davis, pièce maîtresse du jazz-funk et de la musique en général.

Symboles d’un afrocentrisme et d’une spiritualité des années 1970, ce disque et son visuel sont un parfait écrin pour la proposition chargée en histoire et en conséquence de Joe Lucazz et Pandemik Muzik. Une liaison mystique parfaitement établie.

Desto Dubb – Born to Sale Juice 2 (2017)
Nirvana – Nevermind (1991)

Sorti à la toute fin de l’année 2017, Born to Sale Juice 2 est une plongée sous sirop dans le quotidien halluciné de Desto Dubb. Le rappeur californien est à la croisée de nombreux chemins, entre la nouvelle génération de Los Angeles mise en avant par 03 Greedo ou Drakeo the Ruler, et les jeunes fous de tous horizons comme Lil Pump.

Alors que les références à Kurt Cobain (plus qu’à Nirvana, d’ailleurs) sont extrêmement communes dans le rap actuel, dépressif et embrumé, Desto Dubb décide d’aller plus loin en proposant sa version de Nevermind et son bébé nageur. En remplaçant le billet au bout de l’hameçon par une bouteille de lean, du sirop codéiné, le rappeur californien résume presque toute l’évolution qui s’est opérée entre le grunge antisystème et le rap no future. Sans oublier le gobelet dans la main pour consommer tout et tout de suite. Une synthèse moderne du nirvana faite de prothèses sensitives et de produits synthétiques.

Mais en ce début 2019, la pochette qui nous aurait vraiment enthousiasmés est celle de Slimka Dogg, impeccable !

(© Nadia Tarra/Tataki)

Car ce concept de sample visuel est aussi l’angle de COVER UP, une série de photos d’artistes suisses réalisée par Nadia Tarra pour le média Tataki. Le premier cliché est celui ci-dessus, qui représente Slimka prenant la pose de Snoop Dogg sur le visuel de son album R and G (Rhythm and Gangsta): The Masterpiece, sorti 2004 et qui comprend le hit “Drop It Like It’s Hot”.

Snoop est d’ailleurs l’un des artistes rap les plus repris visuellement, notamment par 100s sur son album Ice Cold Perm, sorti en 2012. Donc cette cover inspirée d’une autre pochette n’est malheureusement pas celle d’un futur opus du rappeur suisse, mais le projet COVER UP prouve que le sample visuel est plus que d’actualité.

BONUS SHAOLIN !

RZA as Bobby Digital – In Stereo (1998)
Galt McDermot – Cotton Comes to Harlem OST (1970)

Comme dit précédemment, les exemples de sampling visuel sont très réguliers depuis que la musique existe. Parmi tous ceux-là, nous avons choisi celui, très symptomatique, de RZA pour son projet Bobby Digital, qui reprend l’esthétique blaxploitation de la bande-son du film Cotton Comes to Harlem.

Tous les détails y sont, de l’arme devenue futuriste en vert à la mannequin en bikini et bottes blanches. Seul l’imposant W du groupe est ajouté à la composition très référencée de cette époque. Une très belle façon de rendre hommage à un genre et à des héros noirs à l’époque où le divertissement était très unicolore. Un parfait bonus pour terminer cette sélection haute en couleur.