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Les traces laissées par d’anciens détenus d’une prison parisienne répertoriées par Mathieu Pernot

Les traces laissées par d’anciens détenus d’une prison parisienne répertoriées par Mathieu Pernot

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Un travail sensible réalisé dans une prison détruite.

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“La Santé”, 2015. (© Mathieu Pernot)

“La Santé”, c’est le nom que portait une prison du 14e arrondissement de Paris, construite en 1867. Elle a abrité de célèbres prisonniers, comme le poète Guillaume Apollinaire, en 1911, et a été le lieu duquel s’est évadé le gangster Jacques Mesrine, ennemi public numéro 1 à la fin des années 1970. En 2015, cette maison d’arrêt a été détruite pour laisser place, à l’automne 2018, à un établissement pénitentiaire flambant neuf. Et c’est seulement au moment de sa destruction, quand les détenus avaient déjà déserté les lieux, que le photographe français Mathieu Pernot – dont le travail est toujours social – s’est intéressé à elle en se posant cette question : “Comment la prison, lieu de l’enfermement et de la contrainte, produit-elle des formes et idées qui lui sont propres ?”

À partir de cette réflexion, Pernot va chercher à inspecter les murs de cette prison, pour en conserver la mémoire et inventorier les traces laissées par les condamnés, depuis sa construction. En les photographiant, Pernot va saisir de manière assez simple et froide la destruction extérieure et la structure du bâtiment en étudiant sa géométrie intérieure. Mais cette fois-ci, il ne s’arrête pas à la photo : l’artiste va prélever des bouts de murs, relever des inscriptions gravées et écrites par ces personnes incarcérées, et détacher les affiches que ces derniers ont contemplées longuement durant leur peine. Et tout cela, il le donne à voir au visiteur dans le cadre d’une exposition, qui relève davantage de l’installation que de la photo, au CENTQUATRE-PARIS, jusqu’au 6 janvier 2019.

Un récit de la détention

Cette méthode archéologique s’inscrit dans une démarche plus sensible, et place l’intimité ainsi que le quotidien de ces hommes punis au cœur du processus, sans jugement et loin d’un regard moral porté sur les crimes qu’ils ont commis. L’exposition nous invite à découvrir les personnalités de ces anciens prisonniers à travers les stigmates que la prison porte de leur passage. Il est question d’un travail de mémoire sur les détenus mais aussi sur les murs entre lesquels ils ont séjourné, comme une manière de redonner vie à quelque chose qui n’est plus, à un souvenir et à des absents.

Impossible, donc, de ne pas sourire devant leurs posters de stars des années 1990, de voitures, de motos, de bodybuilders et de belles montres. Certains sont très religieux, d’autres n’hésitent pas à faire des murs entiers de clichés pornographiques découpés dans des magazines X. Chaque cellule est délimitée au sol, dans l’espace d’exposition, par du ruban adhésif, pour dessiner les frontières de ces fragments de vie et d’histoires qui laissent entrevoir non seulement des portraits des anciens prisonniers, leur univers visuel, mais aussi “un état du monde vu de la prison”.

“La Santé”, 2015. (© Mathieu Pernot)

La majorité des détenus aime, par exemple, afficher des images de paysages naturels, de leur pays d’origine qu’ils revendiquent ou des cartographies de notre monde, comme une envie de se projeter hors de ces murs, dans un ailleurs sans barreaux. Sur chacun de ces atlas, on peut d’ailleurs voir un énigmatique trou béant, souvent situé en plein cœur de l’océan Atlantique, loin des terres : “Certaines d’entre elles [les cartes], disposées sur les portes, sont trouées en leur centre pour permettre aux gardiens se trouvant dans la coursive de voir l’intérieur de la cellule à travers l’œilleton. Une partie de la carte est manquante, trouée par le regard du surveillant, laissant apparaître sa part manquante.”

Dans une autre pièce, Mathieu Pernot expose les peintures qui ont été réalisées par les anciens détenus, dans le cadre d’un atelier d’arts plastiques. Ces œuvres d’art sont autant de portes d’entrée dans leur esprit torturé, où se mêlent tantôt une iconographie religieuse, tantôt de la calligraphie arabe, ou les plus grands tableaux de maître de l’histoire. Mathieu Pernot n’a pas hésité à arracher les murs de la prison pour prélever ces dessins, qui nous rappellent alors des peintures rupestres. Sur certaines surfaces, on peut voir des agrafes que l’artiste a utilisées pour recoller l’illustration et les morceaux de mur cassés.

En sortant de l’exposition, une dernière installation pourrait vous faire sourire : sur un mur, Mathieu Pernot a retranscrit tels quels, à la faute d’orthographe près, des extraits des inscriptions (parfois vulgaires) que les détenus gravaient sur leurs murs. On vous donne un échantillon poli : “les aigls ne volent pas avec les pigeons / ballon d’or pour toute afrique ma gueule / le 13/07/2012, reste 09 ans et 105 jours, 3390 jours, +30 mois, 4290 jours / au revoir la santé, les fous s’en vont d’ici / on rêve d’un avenir fleury mais l’état nous fresne villepinte”. Reflet de la poésie de leur vie intérieure.

“La Santé”, 2015. (© Mathieu Pernot)

“La Santé”, 2015. (© Mathieu Pernot)

“La Santé”, 2015. (© Mathieu Pernot)

“La Santé”, 2015. (© Mathieu Pernot)

“La Santé”, 2015. (© Mathieu Pernot)

“La Santé”, 2015. (© Mathieu Pernot)

“La Santé”, exposition de Mathieu Pernot au CENTQUATRE-PARIS, à voir jusqu’au 6 janvier 2019. Un livre est disponible aux éditions Xavier Barral.