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Le créateur de Humans of New York livre ses conseils pour tirer le portrait d’inconnus

Le créateur de Humans of New York livre ses conseils pour tirer le portrait d’inconnus

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@ Humans of New York

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Par Lise Lanot

Publié le

Brandon Stanton parcourt la grosse pomme à la recherche de portraits et d'histoires uniques.

En novembre 2010, Brandon Stanton créait la page Facebook Humans of New York (HONY). Il avait alors pour objectif de tirer le portrait de 10 000 New-Yorkais·e·s accosté·e·s dans les rues, et d’en faire ressortir une sorte de catalogue exhaustif des habitant·e·s de la ville. Au fur et à mesure, il a commencé à demander à ses modèles de lui raconter leur histoire. En quelques mots et une photo, Stanton nous fait entrer dans l’intimité d’anonymes. Dix ans plus tard, le succès est toujours au rendez-vous : la page Facebook du projet comptabilise plus de 17 millions de “likes” et la page Instagram, 11 millions d’abonné·e·s.

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En 2013, un premier livre, Humans of New York, est publié… et est directement classé numéro 1 des meilleures ventes de livres par le New York Times. Suite à cet énorme succès, Brandon Stanton a partagé ses conseils quant à sa façon d’aborder des inconnus dans la rue.

Traduction : “‘Je me suis marié il y a quelques mois. Elle est mon tout. Mais il faut que je m’habitue au fait d’avoir l’opinion de quelqu’un d’autre autour de moi non-stop. Elle n’aime pas ma barbe et veut que je la rase. Aujourd’hui. À 18 h 40.”

De photographe amateur à auteur de best-seller

Sur la chaîne YouTube du projet, Stanton explique dans une vidéo (ci-dessous) avoir commencé la photographie en tâtonnant. Il vivait à l’époque à Chicago, et prenait énormément de photos chaque jour, une centaine en général. En rentrant chez lui le soir, il parcourait ses photos du jour et choisissait ses préférées, en tentant d’expliquer pourquoi certaines avaient ce petit plus que les autres n’avaient pas.

Le déclic est survenu alors qu’il prenait le métro pour rentrer chez lui. Il raconte avoir capté les regards de deux enfants qui ne se connaissaient pas, se dirigeant dans la même direction, et cela les rendait semblables. Il a alors sorti son appareil photo, un peu nerveux qu’on le remarque, pour immortaliser cela. C’est à ce moment-là qu’il s’est dit qu’il voulait prendre en photo des gens et des visages plutôt que toute autre chose.

Fier du résultat de cette première photo, il a d’abord tenté de prendre les New-Yorkais en photo sans leur demander, en espérant qu’ils ne le voient pas. Cela s’est souvent soldé par des échecs, des insultes et même parfois quelques bagarres.

Il a donc pris son courage à deux mains et a commencé à demander la permission aux habitants de prendre leur photo. Au fil de ses rencontres, il a décidé d’ajouter quelques mots de ses modèles, de leur poser des questions et de rendre d’autant plus uniques leurs portraits.

Traduction : “J’étudie pour devenir conseillère pour les femmes battues. Je n’ai pas encore traité d’affaires pour de vrai parce que je ne suis qu’étudiante. Mais je veux pouvoir aider les femmes battues qui ne se rendent pas compte de la situation dans laquelle elles se trouvent. 70 % des cas de violences ne sont pas signalés. Il y a beaucoup de raisons différentes pour lesquelles les femmes ne prennent pas la parole.

Certaines ont une basse estime d’elle-mêmes et croient qu’elles n’ont pas le choix. Certaines ont peur. Mais la plupart des femmes aiment sincèrement leur partenaire et se convainquent que ce n’est ‘qu’une phase’. Elles pensent que ça va s’arranger. Il peut y avoir beaucoup d’idéalisme. Je travaille dans un magasin de robes de mariée en ce moment. Là-bas, on n’appelle jamais les femmes des ‘clientes’ mais des ‘jeunes mariées’. Parce que les ‘jeunes mariées’ sont spéciales. Le mariage est un rêve qui devient réalité. Je le vois sur le visage des futures mariées lorsqu’elles essaient leur robe. Elles pensent qu’elles ont enfin trouvé leur amour de conte de fées. Et il est parfois difficile de se délester de cette idée. Même lorsqu’elles sont violentées.”

Étape n° 1 : éviter la nervosité

Lors d’une conférence qu’il a donnée à l’University College of Dublin, en Irlande (vidéo ci-dessus), Brandon Stanton a proposé aux étudiants de mettre en scène la façon dont il aborde des inconnus dans la rue. Il explique s’être longtemps débattu avec les mots qu’il utilisait pour se présenter, lui et son projet. Comment ne pas passer pour un type bizarre qui veut ta photo pour sa collection personnelle ?

S’il avoue qu’avec le succès du projet, il n’a plus vraiment besoin de se présenter, quelques principes de base restent inchangés :

“Je me suis rendu compte au fil du temps que c’était une question d’énergie plutôt qu’un jeu sur les mots. Et la pire énergie à apporter, c’est la nervosité, les gens vont être suspicieux devant quelqu’un qui tremble ou qui ne les regarde pas dans les yeux et ils vont finir par se demander ‘pourquoi ce mec qui m’aborde est si nerveux ?’… Mais comment ne pas l’être en abordant un inconnu ?”

Des techniques simples pour mettre en confiance

Stanton explique qu’il essaie de rester aussi calme que possible, de parler d’une voix posée et, règle d’or, de ne jamais aborder quelqu’un par derrière. S’il remarque quelqu’un d’intéressant marchant devant lui, il traverse le trottoir, le rattrape avant de rejoindre la rue pour l’aborder par devant, afin de ne pas l’effrayer.

Il détaille aussi comment, instinctivement, il se baisse toujours un peu, s’accroupit devant les gens assis et se met à leurs pieds pour être au niveau de leurs yeux et dans une position d’égalité. Enfin, il détaille le projet et demande simplement : “Ça vous dérangerait si je vous prenais en photo ?”

Traduction : “Je n’ai plus la même relation au monde qu’auparavant. Tout au long de ma vie, j’ai appris à anticiper un certain degré d’attention et de gentillesse. Et je ne m’étais jamais rendue compte à quel point cela venait de ma jeunesse et de mon apparence. Je pensais que c’était grâce à mon énergie et à ma personnalité. Mais j’ai dû accepter qu’une femme qui vieillit est une femme de plus en plus invisible.

Les attentions commencent à décliner vers la quarantaine, et s’essoufflent complètement à la cinquantaine. Il est plus difficile de retenir l’attention des gens. Les conversations tournent moins autour de vous, elles se focalisent plus sur des transmissions d’information. Ça me dérangeait beaucoup avant, je me sentais abandonnée, ignorée. Mais ça a changé. Il y a quelque chose de gracieux au fait d’abandonner son besoin d’attention. Le long de ma vie, je me suis plutôt comportée comme une actrice. Je voulais toute l’attention. Mais maintenant, je travaille en tant qu’interprète gestuelle, et j’adore ça. Parce que ça ne tourne pas autour de moi.”

Un processus photographique inchangé

Le photographe déclare toujours commencer par prendre une photo de la personne choisie de plain-pied. Sans doute pour procéder graduellement, puisqu’il se rapproche progressivement de la personne pour ensuite prendre son visage, ses expressions lorsqu’elle est en train de parler et de s’ouvrir à lui.

Traduction : “Plus je suis en contact avec les gens, mieux je me porte. Un regard, un sourire : je prends tout. Dès que je sens une ouverture, je me dirige vers la personne. Il y a tellement de gens qui veulent me prendre en photo. Je réponds toujours oui. C’est excitant. Ne sommes-nous pas chanceux ? Nous sommes chanceux d’être ici. La rue est pleine de douceur et de gens. J’adore cette rue parce qu’elle mène au parc. Je peux le sentir d’ici. Regardez ce beau chien là-bas !”

Traduction : “J’ai rompu avec ma petite amie ce matin. Ça faisait trois semaines qu’on était ensemble. Mais je suis catholique et elle ne sait pas si elle croit en Dieu. Je voulais lui demander de m’épouser un jour. Je suis sûre qu’elle sera une super maman et une épouse géniale. Mais je ne crois pas qu’on puisse surmonter ça. Je veux me marier dans une église catholique. Je veux éduquer mes enfants dans la foi catholique. C’est quelque chose d’important pour moi et c’est une situation à laquelle on finira forcément par être confronté.

Donc je ne pense pas que ce soit une bonne idée de continuer à repousser les choses. Mais ça me fait vraiment du mal de la perdre. On pleurait à chaudes larmes tous les deux. Elle occupait une partie tellement importante de ma vie. À chaque fois que quelque chose de bien m’arrivait, elle était la première personne à qui je voulais en parler. Et je respecte le fait qu’elle ne veuille pas croire en quelque chose, simplement parce que moi j’y crois. Mais je ne sais pas quoi faire. J’espère que Dieu me donnera une réponse.”

Éplucher l’oignon

Toujours dans la même vidéo, Brandon confie qu’il aime procéder pas à pas. Il n’annonce pas directement vouloir mener un entretien. En premier lieu, il parle seulement de la photo… avant de poser quelques questions, de plus en plus personnelles.

“Je commence toujours pas des questions très larges, je cherche des points d’entrée. Par exemple, je leur demande : ‘Quel est votre plus grand combat à ce jour ?’ […] ou je leur demande de me donner un conseil de vie. Selon les réponses, je pose des questions de plus en plus intimes. J’épluche l’oignon en quelque sorte. Si on me donne comme conseil : ‘Soyez optimiste’, je leur demande de me raconter un moment où ils ont eu du mal à garder leur optimisme. Ou si on me répond : ‘Prenez des risques’, je leur demande de me parler d’un risque qu’ils n’ont pas pris, et qu’ils regrettent aujourd’hui.”

C’est ainsi, en procédant par couches, que Brandon Stanton livre des portraits uniques et authentiques. Certains modèles se prennent au jeu du portrait dès le début et posent avec plaisir, tandis que d’autres sont plus méfiants. Certains visages sont révélés lorsque la personne raconte quelque chose qui lui tient à cœur. La photo devient alors d’autant plus saisissante et émouvante.

Pas le plus grand photographe du monde, ni le meilleur journaliste

Lors de sa conférence avec les étudiants irlandais, Stanton avoue ne pas se considérer comme le “plus grand photographe du monde, ni même le meilleur journaliste du monde”. Selon lui, il est un “life-teller”, un narrateur de la vie des gens. Il cherche l’authenticité des histoires et des visages anonymes qui nous entourent au quotidien.

Cependant, toute l’attention n’est pas focalisée que sur les visages ou les histoires, le jeune homme prête attention aux fonds et au cadrage, il affectionne particulièrement les tags des murs new-yorkais ou la végétation luxuriante des parcs. Mais le plus important reste de laisser le modèle choisir. Stanton considère que les photos ne doivent pas être préméditées ou trop réfléchies, mais doivent plutôt découler du moment et de l’émotion.

De plus, Stanton n’est pas forcément à l’affût de l’histoire qui nous mettra la larme à l’œil, il explique dans la vidéo que lorsqu’il entend quelque chose qui le fait rire, c’est parfois suffisant.

Traduction : “– Nous allons au festival de l’Afrique.

– Qu’est-ce que c’est, le festival de l’Afrique ?

– C’est l’endroit où maman me laisse manger mon goûter comme je veux.”

Un phénomène international

Aujourd’hui, la série Humans of New York rassemble une communauté de plus de 20 000 000 de personnes sur les réseaux sociaux, et s’est même étendu à l’international. Des internautes ont créé des Humans of Paris, Humans of Amsterdam, ou encore Humans of Lille. Deux livres sont également sortis : Humans of New York et Humans of New York : Stories.

Brandon Stanton a aussi diversifié ses publications en se déplaçant autour de New York ou dans d’autres villes. Il a aussi rencontré des gens au sein d’un même hôpital ou d’une même prison et a proposé des séries consacrées aux enfants.

Traduction : “Je me suis présenté à l’élection du Congrès pour la première fois en 1999, et j’ai perdu. Je me suis fait battre. Je siégeais à l’Assemblée Législative depuis un bon moment, j’appartenais au parti minoritaire, je n’arrivais pas à accomplir beaucoup de choses, et j’étais loin de ma famille, je faisais peser beaucoup de pression sur Michelle. Alors le fait de participer à l’élection et de perdre ainsi, cela m’a fait penser que ce n’était peut-être pas ce pour quoi j’étais fait. J’avais quarante ans, j’avais investi beaucoup de temps et d’efforts dans quelque chose qui ne marchait pas.

Mais ce qui m’a fait tenir le coup à ce moment-là, et à tous les autres moments où je me sentais coincé, c’est de me rappeler que tout dépend du travail. Parce que si vous vous inquiétez, si vous vous demandez sans cesse : ‘Est-ce que je réussis ? Est-ce que je suis là où je suis supposé être ? Est-ce que je suis apprécié ?’, alors vous allez être frustré et vous sentir coincé. Mais si vous faites tout tourner autour du travail, vous trouverez toujours un moyen. Il y a toujours quelque chose à accomplir.”

Traduction : “Aujourd’hui, dans le petit monde de la mode.”

Traduction : “Ma mère et moi avons toujours été proches. Mais on a dû ré-apprendre à communiquer après la mort de mon père. Il a fallu que nous suivions une thérapie. On avait arrêté d’être honnêtes l’une envers l’autre. La maladie de mon père avait été tellement stressante qu’on ne voulait pas créer de stress supplémentaire.

Donc on a essayé de se protéger l’une et l’autre. Aucune de nous deux ne voulait avouer quand nous avions passé une mauvaise journée. Ou quand on se sentait déprimées. La réponse à tout était toujours : ‘Je vais bien.’ Mais nous n’allions pas bien, et c’était évident. Parce qu’on ne peut pas croire quelqu’un qui dit aller bien, si on ne peut pas lui faire confiance pour nous dire quand quelque chose ne va pas.”

Traduction : “Je suis une femme et je m’appelle Andréa et je vis mon rêve.”

Traduction : “Je veux donner du pouvoir aux femmes par la danse. Je pense que la confiance se gagne grâce au mouvement. Quand une femme bouge son corps, et est à l’aise avec elle-même, qu’elle se rend compte qu’elle peut danser, cela la relie à la vie. Parce que la vie, c’est le mouvement. Techniquement, on danse toute la journée. Et on se fiche de ce à quoi ça ressemble. L’important, c’est de bouger.”

Traduction : “Je ne sais pas si ce sont les gens qui deviennent moins intéressants, ou si c’est moi qui m’intéresse moins aux gens.”

Traduction : “Le plus dur au CP, c’est ’11+11′ parce que toute la classe ne sait pas ça.”